La Géorgie, pays candidat à l'Union européenne, n'est pas un pays en guerre. Pourtant il a été l'un des principaux pays d’origine des demandeurs d’asile en France ces dernières années aux côtés de pays comme la Syrie, l'Irak ou l'Afghanistan. On peut donc à juste titre s'interroger sur les motifs de départ des Géorgiens et sur leurs besoins de protection. Si la Géorgie fait partie de la liste des « pays d'origine sûrs » selon l'Ofpra, il n'en demeure pas moins que chaque demande d'asile doit être examinée attentivement au regard des possibles persécutions subies par les individus, dans un contexte où le fonctionnement de l’État présente plusieurs défaillances. C’est ce contexte qu’a présenté M. Gordadze lors d’une conférence organisée par Forum réfugiés-Cosi le 23 juin 2021.

La Géorgie a connu une longue période d'instabilité dans les années post-soviétiques, marquées par des coups d'État, une guerre civile, des conflits ethniques. Juste après son indépendance, le pays est déchiré entre les partisans d'un nationalisme fort, opposés à la Russie, et les anciens communistes et groupes mafieux, armés et soutenus par la Russie. Deux régions, l'Ossétie du sud et l'Abkhazie, vont être le terrain en 2008 d'une guerre entre les séparatistes pro-russes et l'armée géorgienne. À l'issue des affrontements, le 28 août 2008, le Parlement géorgien déclare l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud « territoires sous occupation russe ». Près de 400 000 personnes ont dû fuir l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud lors de différentes phases de conflit depuis les années 1990. Ces personnes, déplacées en Géorgie, peuvent subir du racisme, des discriminations et des restrictions de déplacement entre leurs régions d’origine et le reste du pays.

De cette histoire chaotique résulte aujourd'hui une grande faiblesse des institutions malgré des tentatives, dès 2003 et la « révolution des roses », de restaurer un État de droit et de réunifier le pays. Les années post-2003 sont marquées par une lutte contre la corruption, la réforme de la police, la modernisation de l'administration, la répression de la criminalité et le rapprochement avec l'Europe et l'OTAN. Mais force est de constater que la réforme judiciaire a échoué. La Justice est encore très soumise au pouvoir politique, qui, dans sa volonté de lutter contre les opposants, a gardé le système judiciaire sous son influence pour éviter toute instrumentalisation de la part des tenants de l'ancien régime. Il en résulte des abus judicaires notamment pour arrêter et condamner ceux considérés comme des adversaires politiques. Cette inefficacité de la Justice a également favorisé une Justice parallèle menée par les réseaux du crime organisé, surtout dans les années 90. Après une période de répression, d'emprisonnement et d'exil, les groupes mafieux ont repris du pouvoir depuis quelques années dans la société et dans la politique. Les groupes du crime organisé géorgien s'avèrent très influents, notamment pendant les périodes électorales où, dans un contexte politique très polarisé, les affrontements peuvent être violents.

Cette faiblesse des institutions a également des conséquences sur la situation des minorités ethniques, sexuelles et religieuses. La politique du gouvernement est ainsi très soumise à la très puissante Église orthodoxe. Celle-ci influence les comportements sociétaux : on constate des violences subies par les musulmans sunnites par exemple ou encore, des violences contre les personnes LGBTI qui sont courantes et "légitimées" par l'Église orthodoxe et sans réponse adéquate des autorités. Dans ce contexte social et culturel particulièrement conservateur et traditionnaliste, les maltraitances dont peuvent être victimes les femmes ont longtemps été tues. Aujourd'hui, les violences conjugales sont de plus en plus médiatisées.  Mais selon les ONG sur place, qui gèrent des structures de mises à l'abri, le gouvernement n'agit pas assez pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Par ailleurs, il est à souligner que les phénomènes de vendetta, de vengeance par le sang entre clans, ont fortement diminué mais peuvent encore se rencontrer de manière très marginale dans des régions de montagnes reculées.

On ne peut réduire l'explication des départs à un phénomène économique, bien que de nombreuses personnes migrent pour chercher une vie meilleure ailleurs. La demande d'asile géorgienne a des fondements dans les nombreux problèmes sociétaux auxquels peuvent se confronter les individus et sans qu'ils puissent obtenir une protection de la part d'un État aux institutions policières et judiciaires encore défaillante sur bien des points.

NB : une fiche pays Géorgie réalisée en 2019 par Forum réfugiés-Cosi est disponible, informations ici https://www.forumrefugies.org/nos-actions/en-france/centre-de-formation-et-de-documentation