L’accès à l’aide juridique, un enjeu majeur dans le cadre des politiques d’éloignement
Un récent rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) analyse l’accès effectif à l’aide juridique dans le cadre des procédures d’éloignement en Europe. Il démontre que les personnes placées en rétention peuvent être confrontées à des obstacles juridiques et pratiques qui affectent l’accès à une aide gratuite et compétente. A l’heure où les États membres de l’UE étudient les propositions du Pacte sur la migration et l’asile qui tendent à rapprocher les procédures de retour et d’asile, cet enjeu de l’accès à l’aide juridique dans le cadre de l’éloignement se révèle crucial.
Les procédures de retour incluent notamment l’émission d’une décision d’éloignement, le placement en rétention et les interdictions d'entrée. C’est la directive Retour (2008/115/CE) qui encadre ces dispositions au niveau européen, intégrées dans le cadre légal des États membres de l'UE, à l'exception de l'Irlande. Elle impose ainsi aux États de fournir une assistance juridique gratuite sur demande et conformément à la législation nationale pertinente. Le récent rapport de la FRA examine dans quelle mesure les personnes placées en rétention dans les 27 États membres de l'UE, ainsi qu'en Macédoine du Nord et en Serbie, peuvent bénéficier de manière effective de cette aide juridique dans le cadre des procédures d’éloignement. Le rapport analyse ainsi également les régimes publics d'aide juridictionnelle gratuite dans le cadre des procédures de retour.
Les résultats de la recherche soulignent que si tous les États fournissent une aide juridique gratuite sous différentes formes, certaines difficultés découlant du droit et de la pratique affectent l'accès, la qualité et la rapidité d'accès à cette aide juridictionnelle gratuite. En effet, certains Etats membres ne fournissent pas d’accompagnement pour toutes les procédures liées au retour comme définies ci-dessus, en particulier en ce qui concerne les décisions d'interdiction d'entrée et de placement en rétention. De plus, l'assistance ne s'étend pas toujours aux entretiens juridiques avant les audiences devant le tribunal ce qui ne permet pas aux personnes d’être correctement informées de leurs droits. En outre, l'admissibilité à l'aide juridique gratuite fournie par les services publics peut être déterminée en fonction du bien-fondé ou des délais contraignants de la demande. Par ailleurs, si les associations ou les prestataires privés d'aide juridique peuvent fournir une assistance rapide, efficace et ciblée, elles sont régulièrement confrontées à des lacunes de financement et à des obstacles pratiques en matière d'accès et de communication, en particulier s'ils ne s'appuient pas sur une coopération formelle avec les autorités. Enfin, la FRA souligne que la crise sanitaire liée au Covid-19 a exacerbé ces difficultés, notamment en ce qui concerne les délais et les rémunération liées à l'aide juridique, le manque d'avocats qualifiés, la continuité et la cohérence limitées de l'assistance, l'accès restreint aux centres de rétention, les conditions de travail difficiles pour les avocats dans les locaux de rétention, les lacunes en matière d'information et les déficiences de la communication, ou encore l'insuffisance de l'interprétariat.
Ainsi, la FRA appelle les autorités nationales à améliorer l'accès à l’aide juridique pour les personnes placées en rétention et notamment en fournissant une aide juridique gratuite pour toutes les décisions liées au retour, y compris le placement en rétention, l’éloignement et les interdictions d'entrée, ainsi que des entretiens avant les audiences au tribunal. Elle recommande aussi de réévaluer l'impact de la subordination de l’accès à l'aide juridique publique à des conditions de bien-fondé de la demande ou de délais contraignants. Elle propose d’envisager des systèmes flexibles qui combinent l'aide juridique publique et le soutien fourni par les associations. Par ailleurs, elle recommande de veiller à ce que les personnes éloignées soient correctement informées de leurs droits et pour cela, de faciliter l’accès à des entretiens rapides et confidentiels avec des prestataires de services juridiques formés au droit des étrangers et d’asile, et capables d'accéder à tous les dossiers de leurs clients. Enfin, elle préconise de fournir un accès aux organismes nationaux et internationaux de surveillance de la rétention afin de leur permettre d'évaluer régulièrement l’accès effectif à l’aide juridique gratuite ainsi que son efficacité.
L’enjeu de l’accès à l’aide juridique dans le cadre de l’éloignement est d’autant plus conséquent à l’heure où les propositions du Pacte sur la migration et l’asile tendent à rapprocher les procédures de retour et d’asile. Dans ce contexte, une récente note d’ECRE analyse le cadre légal européen et les pratiques actuelles des Etats en matière de rapprochement entre les procédures d’asile et de retour. Déjà possible en vertu de l'article 6, paragraphe 6 de la directive Retour, cette option est cependant laissée au pouvoir discrétionnaire des États membres et n'est pas obligatoire. Ainsi, plusieurs Etats utilisent déjà cette option soit en déclenchant une décision de retour dès qu’une décision négative sur une demande d'asile est émise ; soit en fusionnant les deux décisions en un seul document. Mais dans le cadre de ces procédures, et ce dans la plupart des pays l’appliquant, les autorités évaluent les motifs de protection et les obstacles au retour de manière plus large, en incluant notamment les considérations de non-refoulement en vertu de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), les raisons humanitaires, l'intérêt supérieur de l'enfant, la vie familiale et l'intégration. La législation sur les droits de l’homme permet en effet d’étendre la protection contre le retour à un éventail plus large de personnes, et la légalité d’une décision de retour fondée uniquement sur le rejet d’une demande d’asile serait contestable. Cependant, dans le Pacte européen, la Commission européenne propose d’inclure une obligation de prendre une décision de retour immédiatement après l'adoption d'une décision mettant fin à un séjour légal, ce qui réduirait inévitablement le délai de recours et limiterait son effet suspensif.
Comme le souligne ECRE, cette proposition génère de graves préoccupations en matière de droits fondamentaux tout en ne répondant pas aux objectifs fixés. ECRE souligne qu’exiger des États qu'ils fusionnent les procédures d'asile et de retour repose sur l'idée erronée que toutes les personnes auxquelles on refuse une protection internationale pourraient être renvoyées, alors que la procédure d’asile n’inclut pas un examen au regard de l’article 3 de la CEDH, des considérations médicales ou de vie familiale. L'obligation de combiner les procédures exacerberait également les failles observées dans les pratiques actuelles des États, selon lesquelles les décisions de retour ne sont pas suspendues pendant les recours contre les décisions de refus de protection internationale, ce qui laisse les personnes sans protection contre le refoulement.
Enfin, comme le souligne un article d’ECRE, alors que le rôle du Parlement dans la réforme de l’asile de 2016 avait été particulièrement constructif avec des positions en faveur du droit d’asile et incarnant une approche européenne collective, les premiers projets de rapports présentés par les députés rapporteurs tendent à réduire encore davantage les droits fondamentaux des personnes et à déplacer définitivement la responsabilité des primo-arrivants vers les pays d’Europe du Sud. En ce qui concerne le projet de rapport sur le règlement relatif aux procédures d'asile, il laisse intacte la proposition complexe de la Commission, et notamment la proposition de lier la procédure d’asile et de retour. Les garanties procédurales demeurent ainsi insuffisantes et la législation créerait encore un labyrinthe procédural complexe, laissant craindre un recul de la prise en compte des craintes en cas de retour ou des motifs permettant un séjour fondé sur les droits fondamentaux.