En Allemagne, quel impact du changement politique sur les politiques d’asile et d’immigration ?
Après la fin du mandat de la chancelière Angela Merkel, l’Allemagne s’est dotée d’un nouveau gouvernement issu d’une alliance entre les socio-démocrates du SPD, les Verts et les libéraux du FDP. Le programme de cette nouvelle coalition présente de nouvelles ambitions pour le pays en matière de migration et d’asile qui pourraient influencer la politique européenne.
Le programme du nouveau gouvernement allemand s’est démarqué par une approche globalement progressiste en matière de migration et d’asile avec des engagements importants. Il souhaite tout d’abord renforcer l’accès à la réunification familiale pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire dont les droits avaient été restreints ces dernières années. Ils pourraient disposer à présent des mêmes droits que les réfugiés en la matière. Les mineurs non accompagnés pourront également être rejoints par leurs parents ou frères et sœurs. Le gouvernement souhaite aussi garantir l’accès à des cours d’intégration dès l’arrivée, avec des financements accessibles aux organisations gérées par des migrants, ainsi qu’à la formation professionnelle pour soutenir l’intégration sur le marché du travail. En matière d’asile, la coalition mise sur une accélération des procédures d’asile et une harmonisation juridique à travers un projet de loi qui devrait également intégrer un dispositif d’aide juridique indépendant au niveau national, et garantir une identification et un accompagnement des groupes vulnérables. Le système d’accueil sera également modifié avec la suppression des centres d’accueil initiaux (centres AnkER) importés de Bavière qui assurent l’orientation vers une région d’accueil ou une procédure d’éloignement. Le programme prévoit également le développement des voies légales d’accès tout en réduisant la migration irrégulière. En plus d’un réengagement dans les programmes de réinstallation du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, les programmes de couloirs humanitaires et autres programmes d’admission pourraient être coordonnés au niveau fédéral, notamment au bénéfice des Afghans. Le gouvernement souhaite également introduire une approche globale des retours qui pourrait inclure un renforcement du soutien fédéral aux Länder. L’objectif est également d’investir et de renforcer les programmes de retour volontaire, et de faciliter l’interdiction temporaire d’éloignement au niveau fédéral si la situation sécuritaire dans le pays d’origine est précaire. Par ailleurs, il s’engage à ne pas placer les enfants et les jeunes en rétention dans l’attente de leur éloignement. La coalition ouvre la voie également à la création d’un droit au séjour d’un an pour les migrants n’ayant commis aucun crime et vivant en Allemagne en situation irrégulière depuis cinq années, en particulier les jeunes et les familles qui se sont intégrés dans la société allemande. Elle souhaite par ailleurs faciliter l’accès à la citoyenneté après trois ans de résidence dans le pays, tout en gardant leur nationalité d’origine, un grand changement dans ce pays qui ne permet pas d’accéder à la double nationalité jusqu’à présent.
Au niveau européen, le gouvernement soutient la réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) et souhaite établir une distribution équitable des responsabilités. Il vise notamment à avancer sur la mise en place d’une coalition d’États volontaires en la matière. Il appelle également à une protection forte des frontières extérieures avec le soutien de l’agence européenne Frontex dans le respect des droits et du contrôle parlementaire, et souhaite mettre en place une coordination européenne des activités de recherche et de secours en mer. Des annonces ambitieuses et encourageantes selon les associations allemandes de défense du droit d’asile, mais certains points d’inquiétude peuvent également être notés. L’accord mentionne par exemple l’examen des possibilités de déterminer le statut de protection dans des cas exceptionnels dans les pays tiers tout en respectant la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et la Convention européenne des droits de l’Homme, qui fait craindre une externalisation de la demande d’asile et un abandon des responsabilités de l’UE et des États membres en matière d’asile.
Au regard de la place majeure de l’Allemagne dans la définition des politiques européennes, ce nouveau programme allemand peut-il influencer les dossiers migratoires, mais aussi la présidence française de l’Union européenne qui se déroulera jusqu’au 30 juin 2022 ? La rencontre entre le nouveau chancelier Olaf Scholz et le président Emmanuel Macron en décembre 2021 a été l’occasion pour les deux pays de partager leur visions respectives sur différents dossiers, y compris migratoires. Les deux chefs d’État ont confirmé un engagement commun pour renforcer la souveraineté stratégique de l’Europe et pour coopérer sur les enjeux de migration et de sécurité des frontières. Ils s’entendent également sur l’importance d’une répartition équitable des demandeurs d’asile, avec notamment un mécanisme européen avec des États volontaires dans l’attente d’un accord sur le Pacte. Concernant cette initiative portée par la France et l’Allemagne depuis plusieurs années, la ministre fédérale de l’Intérieur Nacy Faeser a indiqué que des discussions étaient en cours avec ses homologues français et italiens.
Selon la fondation Heinrich Boll, ce nouveau programme peut envoyer un message politique fort dans la politique européenne migratoire actuelle, peut-être même débloquer une réforme du RAEC sans fin initiée en 2016, et mettre fin au démantèlement progressif des normes européennes de protection en matière d’asile. Ce changement de paradigme et de discours sur la migration, décrit dans l’accord comme une normalité et non un danger pour les sociétés, pourrait contrecarrer la « spirale de la sécurisation et de brutalisation du débat » selon la fondation qui se reflète à la fois dans les propositions de la Commission mais également dans les comportements et les positions des États membres comme le montre la situation aux frontières extérieures (Pologne, Grèce, Croatie…). L’engagement du nouveau gouvernement de « mettre fin aux refoulements illégaux et de faire cesser les souffrances humaines aux frontières extérieures » peut changer la donne dans les débats européens. La question reste cependant ouverte sur sa capacité à changer cette approche, cristallisée par des années de discours sécuritaires et anti-migrants de différents responsables politiques dans l’UE, et à trouver des alliés pour porter une politique européenne migratoire et d’asile équitable, responsable, et respectueuse des droits fondamentaux.