La régime d’asile européen commun est relativement silencieux sur le cadre juridique et pratique en matière de digitalisation. En effet, hormis les textes relatifs aux bases de données Eurodac, Eurostat ou eu-LISA, les États membres disposent d’une certaine flexibilité dans l’utilisation d’outils digitaux dans la gestion des demandes d’asile pouvant faire émerger des enjeux juridiques en lien avec la protection des données mais également le respect des garanties procédurales dans l’instruction de la demande d’asile. Ces enjeux sont notamment abordés dans deux notes du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) et de l’Agence européenne pour l’asile (EUAA), résumées dans cet article.

L’utilisation d’outils digitaux et d’instruction à distance est globalement hétérogène dans l’Union européenne (UE) et reste une alternative voire l’exception. Selon ECRE, ces méthodes de travail restent « considérées comme une alternative, un substitut ou une solution temporaire à un problème de capacité administrative dans des circonstances limitées ». Certains ont mis en place, dès la première étape de l’enregistrement de la demande d’asile, des systèmes de pré- ou d’auto-enregistrement en ligne, ou des prises de rendez-vous en ligne ou par téléphone. En France, en Grèce et en Italie, ce type de plateforme vise à obtenir un rendez-vous pour effectuer l’enregistrement et/ou l’introduction de la demande d’asile. Aux Pays-Bas et en Grèce, des plateformes ont été installées dans les centres d’accueil et des administrations afin que les demandeurs d’asile effectuent leur propre enregistrement. Cependant, certains États comme les Pays-Bas ont maintenu la possibilité de choisir entre l’auto-enregistrement et la demande par écrit. Si ces nouveaux mécanismes ont été mis en place afin de faciliter la procédure d’enregistrement et de réduire les délais et l’attente dans les premiers centres d’accueil, ECRE indique que les premiers résultats démontrent que ces objectifs ne sont pas atteints. Au lieu de simplifier l’accès à la procédure, ils tendent à ajouter une couche administrative rendant plus complexe l’exercice du droit d’asile. Par ailleurs, l’efficience de ces systèmes est également à questionner au niveau des administrations car ils requièrent plus de coordination entre les autorités, des ressources informatiques et plus de temps pour appréhender et naviguer dans ces nouveaux outils. En Grèce, il a été indiqué que les demandeurs d’asile ne sont pas toujours informés des étapes suivantes après l’auto-enregistrement. De plus, cette plateforme n’est disponible qu’en deux langues ce qui est un véritable obstacle pour les demandeurs d’asile.

La crise sanitaire a également grandement perturbé les systèmes d’asile européens. De nombreux pays ont annoncé la suspension de l’examen des demandes d’asile pendant plusieurs semaines, à l’exception parfois des cas vulnérables. Dans ce contexte, le recours à des solutions digitales et des méthodes de travail à distance a été un moyen de maintenir la continuité des systèmes d’asile. Les envois de demandes d’asile ont pu se faire par mail ou envoi postal. La Commission européenne avait à ce titre rappelé dans ses recommandations que ces mesures devraient être raisonnables, proportionnés et non-discriminatoires. Malte et l’Allemagne ont par exemple donné la possibilité d’envoyer des demandes d’asile par mail pendant une période limitée qui permettait aux demandeurs d’asile de recevoir un mail de confirmation valant attestation de demandeur d’asile pour accéder aux conditions matérielles d’accueil. En Belgique, une plateforme en ligne a été mise en place qui leur donnait plus tard rendez-vous pour déposer leur demande d’asile. Durant ce délai, les demandeurs ne disposaient d’aucune attestation ni de conditions matérielles d’accueil. Le site n’était accessible qu’en français et en flamand et nécessitait un téléphone avec caméra vidéo ce qui ajoutait des obstacles supplémentaires. Les dysfonctionnements de la plateforme ont amené le tribunal de première instance de Bruxelles à condamner l’État belge et à ordonner la fermeture de la plateforme.

En matière d’instruction de la demande d’asile, l’organisation de l’entretien personnel durant la procédure d’asile est une étape clé dans l’instruction de la demande. La qualité de cet entretien est étroitement liée à une bonne préparation du récit de vie du demandeur et de son état physique et psychologique, mais également aux conditions dans lesquelles se déroule l’entretien. Si le RAEC prévoit des garanties procédurales en matière d’entretien personnel, les États restent libres dans son organisation, soit en personne ou à distance avec des outils digitaux. L’organisation de l’entretien personnel à distance ne doit pas omettre la qualité de l’évaluation de la demande et son caractère individuel, la formation de toutes les parties prenantes à l’entretien y compris à l’organisation d’entretien à distance et des outils, mais également la confidentialité des informations et des données personnelles. À ce titre, le choix de la plateforme ou des outils utilisés doivent permettre de garantir la sécurité et la protection des données. Selon le rapport d’ECRE, cinq États membres utilisent fréquemment l’entretien vidéo en première instance (Grèce, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, Suède) et neuf dans des cas spécifiques ou exceptionnels (Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Espagne, France, Irlande, Malte, et Roumanie). Les autres ne l’utilisent rarement ou jamais.

En seconde instance, certaines cours d’États européens ont introduits des outils digitaux afin d’améliorer et de moderniser le processus judiciaire selon ECRE, incluant la présentation de certains documents en ligne (France, Finlande, Suède, Hongrie, Allemagne) ou la vidéoaudience (France, Irlande, Roumanie, Italie). Compte tenu des enjeux juridiques sur ces nouvelles méthodes de travail, la Commission internationale des juristes et l’EASO ont émis des recommandations sur l’utilisation de vidéoaudiences ou de technologies similaires. EASO recommande notamment une formation appropriée des juges et des greffiers à ces nouveaux outils et sur l’organisation d’entretien en ligne. ECRE souligne qu’il est difficile d’évaluer l’efficacité de ces outils et leur impact sur les droits de demandeurs. Il apparait que ces outils ont pu limiter l’impact négatif de la situation sanitaire et des restrictions sur l’accès à un recours.

Ainsi, le développement d’outils digitaux et de méthodes de travail en ligne ont un impact important sur le droit d’asile. De l’enregistrement de la demande à son instruction, l’outil digital peut être difficile à appréhender et peut affecter la qualité du processus de détermination du statut de réfugié. Certains outils ne sont pas toujours adaptés aux besoins spécifiques des personnes, enjeu pourtant essentiel dans la demande d’asile. Ils peuvent entrainer des obstacles supplémentaires dans la procédure comme l’accès à de l’équipement adéquat, l’illettrisme, la complexité de certains outils digitaux, la protection des informations personnelles…Par ailleurs, le développement de ces méthodes de travail est également un enjeu important pour les autorités car elles requièrent des moyens humains et financiers supplémentaires, un délai d’adoption nécessaire pour la formation et l’adoption des nouveaux outils, des infrastructures informatiques importantes et une maintenance régulières, et l’élaboration d’outils adapté au cœur de métier de l’asile et aux circonstances individuelles de chaque demandeur dans le plein respect des garanties procédurales.