Prolongement des contrôles aux frontières : quelles conséquences sur le droit d’asile ?
L’accord de Schengen, signé par la France en 1985, établi un principe de libre circulation des personnes entre les 26 pays de l’ « espace Schengen » (22 Etats de l’Union européenne et 4 Etats associés). Au titre de cet accord, les contrôles systématiques entre deux pays de l’espace Schengen sont prohibés, ce qui laisse cependant aux Etats la possibilité d’effectuer des contrôles aléatoires pendant des périodes limitées.
Suite aux attentats de 2015, la France a signifié à la Commission européenne sa volonté de rétablir les contrôles à ses frontières, et donc d’appliquer l’article 25 du Code frontières Schengen (CFS) qui permet de mettre en place des contrôles systématiques en plusieurs points de passage. Cette dérogation au principe de libre circulation est possible pour une période de six mois en cas de « persistance d’une menace grave à l’ordre public ou à la sécurité nationale » et peut être renouvelée en cas de « nouvelles menaces ».
Le 4 avril 2018, une porte-parole de l’exécutif européen a déclaré avoir reçu notification de la France de sa volonté de prolonger pour la sixième fois depuis 2015 ce rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, pour une nouvelle période de six mois à partir du 1er mai 2018. Bien que le CFS ne semble pas permettre de telles prolongations successives, le Conseil d’Etat avait validé cette mesure dans une décision du 28 décembre 2017 affirmant qu’aucune autre mesure ne permettrait de « prévenir du risque terroriste de façon équivalente ». En pratique, ces contrôles systématiques entraînent l’interpellation de nombreux étrangers en situation irrégulière, notamment à la frontière avec l’Italie. Le préfet des Alpes-Maritimes affirme ainsi avoir procédé à 48 870 interpellations d’étrangers à cette frontière en 2017 (36 800 en 2016).
Les personnes auxquelles l’entrée sur le territoire est refusée bénéficient de certains droits, notamment celui d’obtenir une décision écrite et motivée - avec une notification des droits dans une langue qu’elles comprennent - et la possibilité de bénéficier d’un jour franc avant d’être renvoyées. Par ailleurs, le rétablissement des contrôles aux frontières ne devrait pas avoir de conséquences pour les personnes manifestant leur volonté de demander l’asile.
En dehors du cadre juridique spécifique de la zone d’attente – non applicable par exemple à la partie sud de la frontière franco-italienne où aucun espace de ce type n’a été créé - les services de police ont l’obligation d’orienter un demandeur d’asile vers l’autorité compétente pour l’enregistrement de sa demande (article R741-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers en du droit d’asile - CESEDA), c’est-à-dire la préfecture ou le service de pré-accueil. Si la France considère que la demande d’asile relève de la responsabilité d’un autre État membre de l’Union européenne, le demandeur bénéficie d’un droit au maintien sur le territoire (art. L. 742-1 CESEDA), des conditions matérielles d’accueil allouées aux demandeurs d’asile pendant la procédure de détermination de l’État responsable (art. L. 744-1 CESEDA) et d’un droit au recours contre la décision de transfert (article L. 742-4 CESEDA). Aucune des normes exceptionnelles s’appliquant à cette période (loi sur l’état d’urgence, rétablissement temporaire des contrôles aux frontières nationales) ou sur ce territoire (Accord de Chambéry du 3 octobre 1997 entre la France et l’Italie, dispositions du droit français régissant les contrôles dans les zones frontalières) ne permet de déroger à ces dispositions.
Le droit fondamental à l’asile ne devrait donc pas être impacté par les dérogations prolongées aux principes établis par l’accord Schengen, qui n’autorisent pas à refuser l’entrée et à éloigner un demandeur d’asile sans examen de sa demande par les autorités compétentes. En pratique cependant, il semble très difficile de faire valoir ce droit. Dans un rapport d’avril 2017, Forum-Réfugiés Cosi constatait que les étrangers qui demandent l’asile auprès des autorités françaises à la frontière ne recevaient pas les informations adéquates à ce sujet et n’étaient pas orientés vers les procédures permettant un examen de ce besoin de protection. Cette situation s’est prolongée au cours de l’année 2017, comme en témoigne notamment la décision rendue le 4 septembre 2017 par le tribunal administratif de Nice constatant une violation du droit d’asile à la frontière. L’absence de référence au droit d’asile par les autorités françaises lorsqu’elles communiquent sur le prolongement des contrôles aux frontières – pour 48 870 interpellations en 2017, combien d’orientations vers la procédure d’asile en France ? – et le développement du rétablissement des contrôles frontaliers par plusieurs autres Etats européens (Danemark, Autriche, Allemagne, Suède) peuvent laisser craindre une volonté de freiner les arrivées sans considération spécifique du droit à demander l’asile, qui ne devrait pourtant pas être impacté par ces politiques.