Quel impact d’un Brexit sans accord pour les demandeurs d’asile ?
Les négociations en cours depuis plusieurs mois autour du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne n’ont pour l’instant pas abouti. Si aucun accord n'était trouvé avant le 31 octobre, cela pourrait avoir d'importantes conséquences pour les demandeurs d'asile.
Un article du journal britannique The Guardian indique que le Ministère des affaires intérieures du Royaume Uni – Home Office – prépare la fin de l’application du règlement Dublin en cas d’absence d’accord avec l’Union européenne (UE). Si aucun accord n’est trouvé entre les parties avant le 31 octobre, le règlement Dublin et l’ensemble du régime d’asile européen commun (RAEC) ne serait alors plus applicable au Royaume-Uni. Or le règlement Dublin prévoit notamment que la demande d’asile puisse être traitée dans l’Etat membre de l’UE où un membre de la famille du demandeur réside. Ainsi, le ministère a indiqué au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui si aucun accord n’est trouvé dans le cadre du Brexit, aucune demande faite dans le cadre du règlement Dublin après le 1 novembre ne sera considérée.
Face à cette annonce, les associations et les avocats britanniques se mobilisent pour introduire le maximum de demandes avant la date limite. Beaucoup d’inquiétudes portent notamment sur les mineurs non accompagnés présents dans des Etats membres comme la France, la Grèce et l’Italie sans possibilité de rejoindre leur famille au Royaume-Uni. Si l’application du règlement Dublin n’est plus possible, l’amendement Dubs pourrait fournir une autre voie légale d’accès pour les mineurs demandeurs d’asile vers le Royaume-Uni. Il a été adopté en 2016 afin d’accueillir depuis la France, l’Italie et la Grèce des mineurs isolés particulièrement vulnérables même s’ils n’ont pas de proches dans le pays afin d’y demander l’asile. L’objectif était que le Royaume-Uni accueille 3 000 mineurs dans le cadre de ce mécanisme, mais ce chiffre a été limité par le Home office à 480. Le gouvernement a décidé finalement de mettre fin au programme dès fin mars 2017 pour les mineurs venant de la France. Selon l’association Safe Passage, environ 270 mineurs sont arrivés par le biais de ce système. Les places restantes seront dédiées aux mineurs en Italie et en Grèce. Plusieurs organisations de la société civile ont adressé en mai 2019 un courrier à Thérésa May alors Première Ministre afin d’alerter sur la suppression de ce dispositif pour les mineurs isolés en France et plus particulièrement dans le nord du pays, et sur l’insuffisance du nombre de places et la lenteur des procédures face aux besoins importants et urgents des mineurs non accompagnés dans l’UE. Le HCR a quant à lui appelé le gouvernement britannique et les partenaires européens à travailler ensemble pour que les arrangements nécessaires restent en place pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les apatrides.
Dans ce contexte, sans cependant qu’un lien évident ne soit établi, le nombre de personnes tentant de traverser la Manche pour rejoindre les côtes anglaises depuis la France est en nette augmentation depuis quelques semaines. Plusieurs embarcations ont été ainsi interceptées par des patrouilleurs britanniques et français. C’est le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes (CROSS) de Gris-Nez en France, et le centre de coordination de secours en mer de Douvres (Dover Maritime Rescue Coordination Center) au Royaume-Uni qui se partagent les zones de secours et de sauvetage et qui coordonnent les opérations de recherche et de sauvetage. Selon des données de la Préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord transmises à la presse fin août, 586 migrants ont essayé de traverser la Manche lors de 78 tentatives en 2018. Depuis janvier 2019, la Préfecture comptabilise 156 tentatives pour 1 451 migrants interceptés. Du côté britannique, selon un rapport parlementaire, 539 migrants ont tenté de rejoindre le Royaume-Uni depuis la France en 2018 dont 80% depuis le 1er octobre 2018. 42% des migrants ont été intercepté par les autorités françaises. Depuis janvier 2019, plus de 1 000 migrants seraient arrivés au Royaume-Uni selon plusieurs articles de presse britannique.
Suite à l’augmentation de ces traversées, un plan d’action conjoint entre les deux Etats a été établi le 24 janvier 2019 afin d’empêcher les migrants de travers la Manche de manière illégale. Selon ce plan, les migrants secourus devront être débarqués dans le port le plus sûr selon le droit international, une aide 7 millions d’euros sera débloquée pour renforcer les mesures de sécurité, le retour des migrants devra être mené sous de brefs délais dans le respect du cadre légal national et international, et une campagne de communication stratégique sera mise en place pour informer les migrants sur les risques des migrations illégales. Le 29 août dernier, les ministres de l’Intérieur français et britannique se sont accordé sur le renforcement des contrôles notamment par un appui financier britannique à la France afin « d’empêcher plus efficacement à terre les départs », et sur une meilleur coordination des services d’enquêteurs britanniques et français pour le démantèlement des filières de passeurs. Les ministres ont également abordé la question du Brexit et l’éventuelle absence d’accord. Ils ont convenu de « maintenir une coordination étroite afin de limiter les éventuelles perturbations ».
La perspective d’une sortie sans accord de l’UE pose ainsi de nombreuses questions sur la prise en charge des demandeurs d’asile en dehors du RAEC et des migrants secourus dans la Manche. Si les autorités britanniques débarquent sur leur territoire des migrants secourus, quelle sera sa prise en charge en termes d’asile, un domaine qui ne sera plus encadré par le droit européen? En l’absence d’application du règlement Dublin, qu’adviendra-t-il des demandeurs d’asile ayant des membres de famille au Royaume-Uni ?