Crise sanitaire et asile dans l’UE : les réponses variables des États membres
Face à la crise sanitaire, les États membres de l’Union européenne ont adopté des mesures pour lutter contre la propagation du COVID-19 qui impactent parfois fortement l’accès au droit d’asile. En plus de la fermeture des frontières et de la restriction de la liberté de mouvement, les réponses des États sont très variables allant d’une suspension complète de la procédure d’asile à un maintien ou une adaptation des procédures pour garantir l’accès au droit.
Note au lecteur : La situation est extrêmement évolutive et les informations réunies dans cet article sont susceptibles d’avoir changé dans une période très courte après sa rédaction. Les informations sont issues d’une note réalisée par le Conseil européen des réfugiés et des exilés (ECRE) qui date du 23 avril.
Si les États ont le droit souverain de contrôler leurs frontières et d’assurer la sécurité et la santé publiques sur leur territoire, ils ont également l’obligation de respecter leurs obligations internationales et européennes relatives aux droits fondamentaux, notamment le droit d’asile et le principe de non-refoulement. Pourtant certaines mesures prises par les Etats membres tendent à remettre en question l’accès à la procédure d’asile. En Espagne, la procédure de demande d’asile est suspendue depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence le 15 mars. Au Pays-Bas, elle a été suspendue pour tous les cas jusqu’au 6 avril. L’enregistrement se limite à la prise d’empreinte au centre Ter Appel de la police aux frontières, avant un examen médical. Ils sont ensuite transférés dans un centre d’urgence sans possibilité de déposer officiellement une demande d’asile. En Italie, il n’y a pas de suspension officielle des demandes d’asile mais en pratique tous les bureaux de la sécurité publique (questures) sont fermés.
Dans certains cas, le manque d’orientation ou de clarté par les autorités nationales remet en cause la possibilité de déposer une demande d’asile. C’est le cas à Chypre par exemple où sans annonce officielle de la part du gouvernement, les demandes d’asile ne sont pas enregistrées par les autorités ce qui induit un manque de clarté sur la justification de cette suspension (à cause du Covid-19 ou du nombre croissant de demandeurs d’asile). Les associations ont été en outre informées de refus d’accès à la procédure pour les nouveaux arrivants dont on exigeait un passeport. En Slovénie, l’acte relatif aux mesures provisoires dans le cadre du Covid-19 laisse supposer que les procédures d’asile ne sont pas urgentes, ce qui pourrait résulter en une suspension de la procédure d’asile, des entretiens et des décisions sur la réunification familiale.
D’autres pays ont restreint l’accès à l’asile à la frontière comme l’Autriche où selon un décret du Ministère de l’Intérieur, les demandeurs d’asile peuvent être refoulés à la frontière s’ils ne fournissent pas un certificat médical. En Hongrie, après une suspension des entrées dans les zones de transit dès début mars, seul endroit où l’accès à l’asile est possible, le droit d’asile a été suspendu dans le cadre de l’état d’urgence.
Certains Etats ont mis en place des procédures par voie postale, électronique ou téléphonique sans que la mise en œuvre ne soit toujours claire. En Allemagne, à partir du 20 mars, les autorités acceptent généralement les demandes d'asile par écrit, les demandeurs devant recevoir des permis de séjour sur cette base. Au Danemark, le gouvernement a indiqué que la fermeture des frontières n’empêchera pas d’accéder à la procédure d’asile. Les demandes peuvent se faire par voie postale ou via un formulaire en ligne, cependant la mise en pratique n’est pas claire. A Malte, le bureau du Commissaire aux réfugiés a confirmé, que bien que fermé, les demandes d’asile sont reçues par email ou par téléphone. En Pologne, l’office des étrangers est fermé et a suspendu tout contact direct. Les demandes d’autorisation de séjour doivent être envoyées par voie postale, mais la mise en œuvre n’est pas claire. En Belgique, après une suspension de l’enregistrement des demandes d’asile à partir du 17 mars, l’office des étrangers a annoncé le 3 avril la reprise de l’enregistrement des demandes d’asile dans le centre d’arrivée à Bruxelles via un système de rendez-vous. En Irlande, les entretiens sont suspendus cependant les demandes peuvent être envoyées à l’office de protection internationale selon la procédure habituelle. Les enregistrements se font avec le minimum de contact avec les autorités et aucun entretien important n’est organisé.
Ainsi, le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) souligne dans un communiqué du 30 avril que le nombre de demandes d’asile enregistrées au mois de mars 2020 a chuté de 43% avec 34 737 demandes, alors que les deux premiers mois de l’année 2020 ont enregistré une hausse de 16% par rapport à la même période en 2019 (65 300 et 61 100 demandes respectivement déposées en janvier et février 2020). L’EASO souligne ainsi que les statistiques de l’asile du mois de mars ne reflètent pas les tendances migratoires relatives à la protection internationale mais sont une conséquence de la crise sanitaire. De plus, il indique que le nombre de décisions a augmenté au cours des trois premiers mois de l’année, 144 114 en 2020 contre 136 302 en 2019, avec un taux de protection en baisse à 28% (contre 35% au premier trimestre 2019).
Concernant l’application du règlement Dublin, les pratiques sont également très variables et révèlent un manque de coordination au niveau européen. En Allemagne, les autorités ont indiqué avoir suspendu tous les transferts Dublin, ainsi que le délai de 6 mois encadrant le transfert mais les bases légales de cette décision manquent également de clarté. En Belgique, l'office de l'immigration a fait remarquer que les ressortissants de pays tiers qui sont empêchés de quitter la Belgique pour des raisons de force majeure (quarantaine, annulation de vol, fermeture de la frontière, etc.) peuvent demander l'autorisation de prolonger leur séjour, ce qui pourrait s’appliquer à la procédure Dublin. Au Pays Bas, la suspension des transferts est prévue jusqu'au 6 avril inclus, tandis que la procédure administrative de Dublin est poursuivie dans la mesure du possible. Les bases légales de cette décision ne sont pas claires également car la décision est temporaire sans préciser les conséquences sur la responsabilité après l’expiration des délais. A Malte, tous les vols étant suspendus, les transferts ne peuvent pas être opérés. En Irlande, l’Etat a informé les associations qu’aucun éloignement ne se tiendrait durant la mise en œuvre des restrictions liées au Covid-19, sauf en cas de circonstances exceptionnelles. En Slovénie, les transferts Dublin sont suspendus cependant les demandeurs d’asile n’ont pas reçu de notification officielle et ne sont pas informés de la suspension de leur transfert par les autorités.
Les conditions d’accueil posent également question, et particulièrement dans les hotspots en Grèce avec une surpopulation importante et des conditions sanitaires déplorables. Les personnes qui arrivent sur les îles ne peuvent pas accéder aux hotspots. Les municipalités n’offrent pas d’accès aux hôtels ou à des alternatives d’hébergement. Un programme d’évacuation et de relocalisation de mineurs non accompagnés vers d’autres Etats membres est en cours avec les premières arrivées au Luxembourg et en Allemagne.
La Commission européenne a publié le 16 avril des orientations sur la mise en œuvre des règles de l’UE en matière d’asile, de retour et de réinstallation sur lesquelles les Etats pourraient se baser pour garantir l’accès au droit d’asile sur leur territoire et à leur frontière. Le Conseil de l’Europe et l’Agence européenne des droits fondamentaux ont par ailleurs rappelé les obligations qui incombent aux Etats en matière d’asile et de droits des migrants dans la gestion des frontières. Le Haut-Commissariat aux réfugiés a également régulièrement rappelé et partagé des bonnes pratiques pour garantir l’accès au droit d’asile et des conditions d’accueil dignes pour les demandeurs d’asile et les réfugiés en cette période de crise sanitaire.
Pour plus d’informations sur les actualités européennes et les mesures relatives au COVID-19, consulter nos Bulletins de veille Europe n°96 et 97