Crise sanitaire : quel impact sur les déplacements forcés ?
La crise sanitaire a non seulement affecté les systèmes d’asile dans l’Union européenne mais a également produit des effets dans les pays d’origine et de transit des demandeurs d’asile et des réfugiés. D’après plusieurs organisations, cette situation pourrait entraîner prochainement une augmentation des déplacements vers l’Europe, qu’il convient d’anticiper au mieux.
Un rapport spécial du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) met en lumière l’impact de la crise sanitaire dans les pays à moyen et faible revenus en tant que principaux pays d’origine des demandeurs d’asile dans l’Union européenne (UE). L’Iran a ainsi enregistré plus de 100 cas positifs dès début février et recensait 91 470 cas à la fin avril. Depuis début mai, le nombre de cas identifiés est en hausse. La Turquie comptait 112 260 cas à la mi-avril. Le Pakistan, et dans une moindre mesure l’Irak et le Bangladesh, sont également impactés. Plus 1 700 cas ont été enregistrés au 28 avril en Afghanistan et une hausse était constatée à la fin du mois de mai, en particulier à Kaboul. Les mesures de confinement et le taux élevé de contamination en Iran a forcé beaucoup d’Afghans à rentrer dans leur pays, augmentant ainsi le risque de transmission du virus. En Syrie, moins de 45 cas positifs sont confirmés. Cependant, ce faible nombre pourrait surtout refléter une faible capacité d’identification des cas positifs en raison de dispositifs médicaux très réduits. Un faible niveau de liaison via les voyages internationaux aurait par ailleurs isolé la population syrienne avant l’épidémie. Une grande partie des pays d’Amérique latine sont impactés, en particulier le Brésil, le Pérou et le Chili. L’Equateur a enregistré le plus grand nombre de décès pour 100 000 habitants au niveau régional. Beaucoup de Vénézuéliens tentent de rentrer chez eux depuis la Colombie malgré la fermeture de la frontière ce qui pourrait augmenter le nombre de traversées irrégulières et augmenter l’activité des réseaux de passeurs et de crimes organisés. Plus 360 000 cas ont été confirmés en Russie à la fin mai. En Afrique, le nombre de cas positifs reste relativement bas mais les évolutions hebdomadaires montrent une augmentation constante du nombre de cas identifiés. Le Nigéria, l’Égypte, le Maroc, l’Algérie, le Ghana et le Cameroun ont enregistré le plus grand nombre de contaminations dans la région.
Selon l’Index de risque épidémique mondial du centre de recherche européen, les 29 premiers pays d’origine des demandeurs d’asile sont exposés à un niveau moyen à élevé de vulnérabilité et souffrent d’un manque de capacités de réaction à la crise sanitaire. C’est particulièrement le cas pour l’Afghanistan, le Bangladesh, la République démocratique du Congo, l’Erythrée, la Somalie, et la Syrie. Ces principaux pays d’origine disposent d’un faible nombre de lits dans les hôpitaux et de personnels médicaux. De plus, les mesures barrières tels que le nettoyage régulier des mains n’est pas possible sans eau courante, ni la distanciation physique dans des conditions de surpeuplement. L’EASO alerte sur le risque de recrudescence des activités de l’Etat islamique au Moyen-Orient. La suspension des opérations et l’accélération du retrait des troupes de coalition internationale au Moyen-Orient à cause de la crise sanitaire a laissé un vide que l’organisation pourrait exploiter. Cette analyse questionne plus globalement le risque de déstabilisation des Etats fragiles et affectés par des conflits et d’exacerbation des conflits pouvant entraîner une augmentation des déplacements internes et internationaux.
Le 23 mars 2020, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, appellait à un cessez le feu mondial afin de faciliter la lutte contre la pandémie. Dans son rapport mis à jour en juin, l’EASO relève que si le cessez le feu à Idlib en Syrie s’est maintenu, les combats se sont poursuivis en Afghanistan et au Yémen, et ont même augmenté en Libye. Selon l’organisation non gouvernementale Norwegian Refugee Council, les conflits armés et les situations de violences ont causé 661 000 déplacements forcés dans 19 pays entre le 23 mars et le 15 mai.
Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) alertent également sur l’impact de la crise sanitaire sur la mobilité humaine. Dans une note commune, ils soulignent que les mouvements migratoires terrestres depuis la Turquie vers la Grèce, du Mali vers la Mauritanie, et du Tchad/Soudan/Niger vers la Libye ont diminué mais ne sont pas arrêtés. Après une baisse significative des flux migratoires sur les routes de la Méditerranée centrale et occidentale en 2019, les mouvements sont repartis à la hausse (+13%) durant le premier trimestre 2020. Le nombre de personnes partant de la Libye entre janvier et avril 2020 a augmenté de 290% par rapport à la même période en 2019, de 156% depuis la Tunisie, de 735% vers les îles Canaries. Si le taux de mortalité lié au COVID-19 reste limité dans les pays africains pour le moment, il est trop tôt pour prédire l’ampleur de son impact sur la santé publique. Il est cependant certain que l’impact sur les emplois, les conditions de vie, et le secteur informel est très important. Les migrants, les réfugiés et les apatrides y seront particulièrement vulnérables car ils ne bénéficient pas des mêmes dispositions que les ressortissants nationaux. L’hostilité à l’encontre des étrangers est plus visible dans certains pays, parfois en lien avec une stigmatisation et une désinformation sur la transmission du virus. Si les agences ne relèvent pas d’augmentation notable d’attaques xénophobes, les difficultés d’accès à des services selon la nationalité, l’origine ou d’autres caractéristiques ont été relevées.
Tout comme l’EASO, les deux organisations internationales soulignent que la sécurité se détériore dans des pays d’origine et voisins des migrants et des réfugiés. Les groupes extrémistes utilisent les peurs liées à la pandémie pour étendre leur influence et affaiblir les autorités étatiques déjà fragilisées. Les réseaux de traite des êtres humains et de trafic de migrants capitalisent sur les opportunités créées par la fermeture des frontières. Ils adaptent leur modèle économique et diversifient leur offre. La suspension des programmes de réinstallation et de réunification familiale, dont les options étaient déjà limitées, créent des situations de désespoir dans les communautés.
En conclusion, les deux organisations onusiennes rappellent que les prochaines discussions de l’UE sur le Pacte sur l’asile et sur la migration seront déterminantes. La définition de la solidarité et les priorités de l’Europe devraient être clairement influencées par l’impact politique du COVID-19 d’un point de vue de santé publique et de relance économique. Les divisions émergeantes sur la signification de la solidarité dans un contexte de reconstruction économique ne devraient pas se faire au détriment des réformes nécessaires dans le domaine de l’asile et de la migration. Il est essentiel pour le HCR et l’OIM de reconstruire la confiance dans les systèmes d’asile, la gestion migratoire et de créer un espace pour des mesures d’intégration et d’inclusion sociale. L’EASO appelle quant à lui les autorités d’asile et d’accueil à prendre en compte l’impact potentiel de la crise sanitaire sur les pays d’origine des demandeurs d’asile et de transit qui pourrait ainsi contribuer à une augmentation du nombre de demandes d’asile ou de personnes à accueillir en Europe.
Photo d'illustration : © European Union, 2020 (photographer: Mallika Panorat)