Royaume-Uni : les traversées de la Manche questionnent l’accès au droit d’asile
L’accord du 30 janvier 2020 sur la sortie définitive du Royaume-Uni de l’Union européenne n’a pas résolu la situation des étrangers en errance dans le nord de la France, où les traversées par la Manche se multiplient. Ces voyages particulièrement dangereux sur cette route maritime très fréquentée questionnent à nouveau la réponse apportée aux besoins de protection en période de négociations.
Alors que l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni poursuivent des négociations difficiles sur le prochain accord qui régira les relations entre les deux parties après le 31 décembre 2020, l’augmentation des traversées de la Manche attise les tensions. Les opérations de sauvetage se multiplient auprès des navires en détresse et le gouvernement britannique déplore une augmentation constante des arrivées. Sur le terrain, le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes (CROSS) de Gris-Nez en France et le centre de coordination de secours en mer de Douvres (Dover Maritime Rescue Coordination Center) au Royaume-Uni partagent les zones de secours et de sauvetage et coordonnent les opérations de recherche et de sauvetage dans cette zone maritime. Dans son rapport annuel d’activité 2019, la Préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord souligne un fort accroissement du phénomène migratoire par voie maritime et souligne sa dangerosité dans une zone particulièrement exposée au trafic maritime (près de 25% du trafic maritime mondial) associée à des courants et des vents importants et une température de l’eau très basse. Ce phénomène serait apparu en 2016 où 23 évènements étaient alors enregistrés impliquant 164 personnes. L’année 2018 est marquée par une augmentation importante, surtout pendant les mois de novembre et de décembre. Cette hausse se confirme en 2019 avec 271 évènements liés à des tentatives ou des traversées par voie maritime impliquant 2 758 personnes. Selon la Préfecture maritime, au 31 août, 548 tentatives ou traversées impliquant 6 200 personnes ont été enregistrées depuis le début de l’année 2020. Les traversées concernent en majorité des hommes, mais peuvent également impliquer des enfants jeunes, parfois en bas âge, et des femmes.
Face à cette augmentation, la ministre de l’Intérieur britannique, Priti Patel, et son homologue français, Gérald Darmanin, se sont rencontrés le 12 juillet à Calais afin d’échanger sur le contrôle des arrivées. Il a ainsi été décidé de créer une unité commune de police et de renseignement pour lutter contre le trafic de migrants. Suite à cette réunion, la Ministre britannique a également sollicité la Marine britannique pour rendre la traversée de la Manche « impraticable » et intercepter les navires afin de les renvoyer en France. Selon les journaux britanniques, le gouvernement prévoirait aussi des vols hebdomadaires pour renvoyer les migrants arrivés par La Manche vers la France, l’Italie et l’Allemagne. Face à cette annonce, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont fait part de leurs préoccupations sur cette proposition. « Le déploiement prévu de grands navires de guerre pour dissuader ces traversées et bloquer de petites embarcations de faible tonnage peut entraîner des incidents dommageables et potentiellement fatals » alertent les deux agences onusiennes. Elles invitent également à prendre en compte les besoins de protection des personnes en mouvement et à renforcer les moyens de recherche et de sauvetage et de lutte contre les réseaux de traite des êtres humains. Selon les deux agences, l’enjeu de ces traversées doit amener également à réfléchir aux options juridiques accessibles pour tous ceux qui ont besoin de protection que ce soit au regard de l’asile, mais aussi de la traite des êtres humains et pour les mineurs non accompagnés.
En effet, sans accord avant le 31 décembre, le gouvernement ne pourra plus mettre en œuvre le règlement Dublin et donc requérir le transfert des demandeurs d’asile vers le premier pays d’entrée responsable de la demande de protection. Il sera cependant tenu d’examiner les besoins de protection de toute personne qui formule une demande d’asile auprès de ses autorités, conformément à la Convention de Genève.
Le Royaume Uni ne pourra par ailleurs plus accueillir des demandeurs au titre du critère familial inscrit dans le règlement Dublin. Si ces enjeux devraient être débattus dans les discussions post-Brexit, aucun mécanisme ne semble être envisagé pour la suite malgré les propositions du Royaume-Uni de continuer d’appliquer le règlement Dublin tout en quittant l’UE. Sans accord entre les deux parties, les demandeurs d’asile, et notamment les mineurs non accompagnés en Europe, avec des membres de leur famille au Royaume-Uni n’auront aucune perspective légale et sûre de les rejoindre et les pousseront donc à emprunter des parcours migratoires dangereux et illégaux selon l’association Safe Passage. De son côté, la position et la prise en main de ces dossiers par l’UE manquent de clarté. En effet, l’équipe de négociations européennes et notamment son chef de file Michel Barnier n’aurait pas de mandat clair pour engager des négociations sur les questions d’asile. De plus, les négociations qui débuteront dans quelques semaines sur le Pacte européen sur la migration et l’asile pourraient rebattre les cartes du cadre législatif européen et pousse donc à reporter ces discussions au sein du Brexit. Le HCR rappelle quant à lui que selon ses recherches, « les retards et les obstacles administratifs au regroupement familial augmentent la probabilité que les personnes aient recours aux passeurs comme alternatives.»