Plan européen d’action sur l’intégration et l’inclusion : une opportunité pour mieux répondre aux besoins des bénéficiaires de protection internationale victimes de traite ?
Adoptant une approche centrée sur les besoins, le nouveau plan d’action sur l’intégration et l’inclusion publié par la Commission européenne le 24 novembre invite notamment les États à prendre en compte différentes formes de vulnérabilités dans leurs politiques d’intégration. Malgré des progrès substantiels dans le traitement des vulnérabilités, le plan d'action ne parvient qu’en partie à prendre en compte l'impact que la traite des êtres humains est susceptible d'avoir sur le processus d'intégration. Cet article a été élaboré dans le cadre du projet européen TRIPS – identification of TRafficked International Protection beneficiaries’ Special needs - coordonné par Forum réfugiés-Cosi.
Le Plan d’action européen en faveur de l’intégration et de l’inclusion (2021-2027) s'inscrit dans le cadre du nouveau Pacte sur la migration et l’asile publié en septembre 2020. Il s’appuie sur les réalisations du plan d’action de 2016 et cherche à répondre à un certain nombre de recommandations adressées à la Commission lors de sa consultation publique ouverte aux parties prenantes et à un large public. Soulignant les défis persistants auxquels sont confrontés les migrants en termes d'emploi, d'éducation, d'accès aux services de base et d'inclusion sociale, elle propose de nouvelles mesures pour promouvoir l'intégration et l'insertion des ressortissants de pays tiers et des citoyens de l'Union européenne (UE) issus de l'immigration.
Plusieurs mesures visent à apporter un soutien pertinent aux victimes de traite, notamment aux bénéficiaires d'une protection internationale. La Commission européenne propose de renforcer son action pour faire face aux vulnérabilités spécifiques rencontrées par certains groupes de migrants au cours de leur intégration, en particulier les femmes, en favorisant par exemple leur accès aux soins prénataux et postnataux et aux services de garde d’enfants, très importants pour les bénéficiaires de la protection internationale victimes de traite. Par ailleurs, le plan invite les États à dispenser des formations aux personnels de santé sur la gestion des besoins spécifiques de certains groupes de migrants tels que les victimes de traite des êtres humains ou de violences sexistes, et les mineurs non accompagnés. Il reconnaît en outre l’importance de l’accès aux soins de santé mentale pour les migrants et les citoyens issus de l’immigration, ces derniers étant davantage sujets aux traumatismes au cours de leur parcours migratoire. La Commission s’engage ainsi à soutenir les programmes de prévention et de promotion de la santé, destinés spécifiquement aux migrants, et met à la disposition des États membres de multiples sources de financements pour « prendre en considération » la situation des migrants et de leurs enfants dans leurs plans nationaux de résilience – une mesure limitée face à l'impact disproportionné de la pandémie de COVID-19 sur les migrants et les réfugiés.
En outre, plusieurs mesures liées à l'accès au logement peuvent aider les États membres à promouvoir « un logement adéquat et abordable sans discrimination », y compris le logement social, notamment pour les bénéficiaires de la protection internationale grâce à des fonds européens. La Commission préconise les modèles de logement autonomes, en particulier pour les familles, en s’appuyant sur les initiatives déjà mises en œuvre. On peut cependant noter que l’accès à l'aide juridique pour les victimes de discrimination ou d’exploitation sur le marché du travail et du logement n’est pas abordé dans le plan. Les besoins spécifiques des victimes de traite devraient également être pris en compte en développant et en augmentant le nombre de foyers spécialisés, qui peuvent garantir un soutien et une sécurité adéquats dans leur processus de reconstruction et d'intégration.
Concernant l’accès à l’éducation et à l’emploi, le Plan d’action met l’accent sur l’amélioration de la reconnaissance des compétences et qualifications acquises dans les pays tiers, ainsi que de leur comparabilité avec les qualifications européennes. La Commission souhaite développer l'outil de profilage des compétences de l'UE et promouvoir son utilisation auprès des autorités. Il vise également à soutenir l’entreprenariat des migrants à travers l’InvestEU et la mise en place de programmes de tutorat inclusifs. La continuité de l’apprentissage linguistique, par le développement de l’offre de cours de niveaux intermédiaire et avancé, est également essentielle à l’intégration des migrants. Le Plan d’action reconnait que « les femmes migrantes sont exposées à un risque particulièrement élevé de surqualification pour l’emploi exercé, ce qui peut entraîner une dépréciation de leurs compétences ». Cependant, très peu d'actions spécifiques sont proposées pour ce public, et elles ne tiennent pas compte de l'impact de la traite des êtres humains. Une formation et un soutien spécifiques aux femmes victimes de traite sont cependant nécessaires pour assurer leur autonomisation et leur reconstruction à long terme, ainsi que leur accès à des emplois compétitifs et correctement rémunérés. En outre, le plan d'action ne saisit pas l'occasion d’aborder les risques liés à la traite à des fins d'exploitation par le travail. Bien que l'emploi soit au cœur des propositions, le plan ne traite pas de la qualité de l'emploi en tant que droit du travail ni des risques d'exploitation et de retomber dans une situation d’exploitation et de traite.
L'appel de la Commission européenne en faveur d'un partenariat multi-acteurs (comprenant des organisations de la société civile, des établissements scolaires, des employeurs et des partenaires socio-économiques, des organisations de l'économie sociale, des églises, des communautés religieuses et autres communautés philosophiques, des organisations de jeunes et d'étudiants, des organisations de la diaspora et des migrants eux-mêmes) pourrait, s'il est mis en pratique, donner lieu à un certain nombre de possibilités encourageantes. Dans le domaine de l'intégration des victimes de traite, l'ouverture et l'élargissement des mécanismes nationaux de référencement pourraient être un résultat intéressant. En outre, la volonté de la Commission de mettre en place un démarrage rapide des mesures d’intégration et d'inclusion pourrait modifier les conditions de l'intégration des victimes de traite.
Dans les différents secteurs, le plan d’action encourage la coopération et l’échange d’expériences entre les États membres, notamment par le biais du portail Europass, du Réseau européen d’intégration et de l’Urban academy on integration. En outre, la Commission souhaite établir un partenariat avec le Comité des Régions ainsi que des partenariats ruraux pour l’inclusion, et soutenir les programmes de parrainage communautaire. La création d’un groupe d’experts sur les opinions des migrants au sein de la Commission devrait permettre une plus grande implication des migrants dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des politiques d’asile, de migration et d’intégration. La nature transversale du processus d’intégration se reflète également dans la variété des fonds européens mobilisés. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 devrait mettre à disposition des États membres le futur Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI) pour financer des mesures ciblées dans les premières phases de l’intégration et des mesures horizontales ; le Fonds Social Européen ‘Plus’ (FSE+) pour favoriser l'intégration sur le marché du travail et l'inclusion sociale ; et le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) pour financer des infrastructures et des équipements.
Afin d’assurer un suivi efficace de la mise en œuvre du plan d’action, la Commission procédera à un examen à mi-parcours à la fin de 2024 et fournira des rapports réguliers au Parlement européen et au Conseil de l’UE. Elle développera en outre une plateforme interactive en ligne, hébergée sur le site web européen sur l’intégration, afin de permettre la participation de divers partenaires. Dans le but de remédier à l’insuffisance des données disponibles et au manque d’utilisation des indicateurs européens dans l’évaluation des politiques d’intégration nationales, la Commission lancera un nouvel Eurobaromètre sur l’intégration. Elle proposera un « tableau de bord commun » sur les politiques d’intégration pour harmoniser davantage la mise en œuvre du plan d’action entre les États membres. En effet, les politiques d’intégration restent de la compétence des États membres et la Commission peut uniquement proposer un cadre pour les orienter. Le plan d’action sera donc mis en œuvre de manière divergente par les différents États, rendant difficile toute comparaison et, par conséquent, une évaluation efficace des mesures adoptées.
Cet article a été élaboré dans le cadre par les partenaires du projet Churches’ Commission for Migrants in Europe, Forum réfugiés-Cosi, Immigrant Council of Ireland, Italian Council for Refugees, Organization for Aid to Refugees.
Plus d’infos sur le projet TRIPS : ici
Le contenu de cet article représente uniquement l’opinion de son auteur, qui en est le seul responsable. La Commission européenne rejette toute responsabilité quant à l'utilisation qui pourrait être faite de ces informations.