« Le droit d’asile est mis en péril en Europe » selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui exhorte les Etats à « enquêter sur les expulsions et les renvois de réfugiés et de demandeurs d’asile aux frontières maritimes et terrestres de l’Europe ». A travers un communiqué de presse publié fin janvier 2021, l’agence onusienne souligne la fréquence croissante et le systématisme des renvois aux frontières menés avec violence et abus de la part des forces de l’ordre. L’inquiétude est également exprimée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui a appelé « l’Union européenne et ses Etats membres à prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux refoulements, aux expulsions collectives et à l’usage de la violence contre les migrants et les réfugiés, y compris les enfants, aux frontières extérieures terrestres et maritimes de l’UE ». Ces refoulements sont également documentés et dénoncés au niveau européen. L’Agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA) alertait récemment dans un rapport sur le respect des droits aux frontières terrestres de l’UE des multiples allégations de refoulements dénoncées par des institutions nationales de défense des droits mais aussi par le Conseil de l’Europe depuis septembre 2018. La plupart concernent la Croatie, la Grèce, mais aussi la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et l’Espagne. En janvier 2021, le Représentant spécial de la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe sur la migration et les réfugiés a publié des observations écrites qui indiquent l’existence de pratiques de refoulement collectif de migrants depuis la Croatie vers la Bosnie Herzégovine effectués en dehors de toute procédure formelle et sans identification ni évaluation des situations individuelles, ainsi que de mauvais traitements infligés régulièrement aux migrants par les forces de l'ordre croates en toute impunité.

Malgré ces multiples alertes, la Commission semble démunie face aux violations de droits observées dans les différents États membres. Le nouveau Pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission européenne en septembre 2020 pourrait constituer une occasion de répondre à ces enjeux, en particulier à travers la proposition,  de règlement sur le filtrage. Ce nouveau texte prévoit d’instaurer une procédure de filtrage aux ressortissants de pays tiers qui arrivent de manière irrégulière aux frontières extérieures d’un Etat membre, y compris après une opération de sauvetage, et aux ressortissants de pays tiers interpellés sur le territoire qui seraient arrivés de manière irrégulière. Cette procédure introduit des règles uniformes en matière de collecte d’informations sur le ressortissant et d’évaluation de ses besoins individuels afin de l’orienter vers la procédure la plus adéquat, en l’occurrence une procédure d’asile si le ressortissant exprime des besoins de protection internationale ou une procédure d’éloignement si aucun besoin de protection est exprimé et que la personne ne respecte pas les conditions d’entrée sur le territoire de l’UE.

Dans l’article 7 de la proposition de règlement, la Commission introduit la mise en place obligatoire par les Etats d’un mécanisme de contrôle indépendant de suivi des droits fondamentaux. Il devra couvrir le respect des droits dans le cadre du filtrage, le respect des règles nationales applicables en cas de rétention, ainsi que le respect du principe de non-refoulement, et devra garantir que les plaintes sont traitées rapidement et de manière appropriée. Cette procédure renforcera également le rôle des agences européennes, puisque la FRA pourra apporter son soutien aux États membres pour développer ces mécanismes. L’agence devra ainsi établir des orientations générales concernant la mise en place et le fonctionnement indépendant du mécanisme. A la demande d’un État membre, l’agence peut aider les autorités nationales à développer le mécanisme de contrôle national, notamment en matière de garanties d’indépendance, de méthodologie de contrôle et de formations. Les organisations internationales et les associations peuvent également être invitées, sans obligation, à participer au mécanisme.

Si la mise en place de ce mécanisme représente un progrès pour garantir le respect des droits fondamentaux et l’accès à la procédure d’asile pour les personnes qui expriment un besoin de protection, il contient plusieurs angles mort qui doivent d’être soulignés. Dans un premier temps, le mécanisme a pour objectif d’assurer le respect des règles nationales en matière de privation de liberté des personnes en particulier sur les motifs et la durée de la rétention, mais il ne peut assurer une évaluation régulière de la privation de liberté. Celle-ci doit reposer sur un juge, et être accompagnée par des organisations présentes en permanence dans les lieux de filtrage ce qui n’est pas prévu dans le règlement. Par ailleurs, le mécanisme doit également prendre en compte les allégations relatives à l’accès à la procédure d’asile et le non-respect du principe de refoulement. Plus généralement, sa compétence ne doit pas se limiter à la seule phase de filtrage mais également assurer une veille les violations potentielles de droits fondamentaux à la frontière et dans l’accès à la procédure. Dans leurs analyses du texte, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) et d’autres associations européennes soulignent l’importance d’étendre le champ d’application du mécanisme au-delà de la procédure de filtrage alors que de nombreux cas de refoulement et de violences observés se déroulent en dehors des points de passages ou des cadres règlementaires officiels. L’indépendance du mécanisme est également essentiel est devrait inclure des organisations indépendantes tels que le Défenseur des droits, les institutions nationales des droits humains, et les organisations non gouvernementales. Par ailleurs, les garanties de traitement des plaintes doivent être renforcés incluant des mesures disciplinaires et l’accès à des recours individuels, et prévoir une supervision par des institutions parlementaires avec des rapports réguliers sur le mécanisme de suivi.

Si le nouveau règlement de filtrage et son mécanisme de suivi des droits fondamentaux peuvent apporter une réponse aux violations répétées et croissantes des droits fondamentaux des migrants et des demandeurs d’asile, l’UE et les Etats membres ne doivent pas attendre ce nouveau texte pour respecter les obligations européennes et internationales en matière de droit d’asile et de non refoulement. Le cadre légal européen actuel, constitué notamment du Traité sur le fonctionnement de l’UE, la Charte des droits fondamentaux, la Convention européenne des droits humains, le code frontières Schengen, le règlement de l’Agence Frontex, la directive retour et le régime d’asile européen commun, prévoit déjà des dispositions très claires sur le respect du droit d’asile et des droits humains qui doivent être respectés et appliqués avec rigueur comme l’a rappelé le Conseil de l’Europe et la FRA dans une publication commune sur les droits fondamentaux aux frontières européennes.