Hongrie : l’UE impuissante pour mettre fin à la détérioration du droit d’asile et des droits fondamentaux
Depuis quelques années, l’accès au droit d’asile ne cesse de se dégrader en Hongrie du fait des multiples restrictions mises en place par le gouvernement Orbán. La Commission européenne a initié plusieurs procédures d’infraction mais les condamnations semblent avoir peu d’influence sur les positions du chef d’État, déterminé à défendre ses mesures anti-migrants et à s’opposer à tout système européen de répartition des demandeurs d’asile.
Au cours des dix dernières années, le nombre de primo-demandeurs d’asile en Hongrie a connu de grandes variations. Alors que le pays dénombrait entre 1 600 et 2 100 primo-demandeurs en 2011 et 2012, une forte augmentation est enregistrée dès 2013, avec près de 19 000 primo demandeurs, qui se poursuivra pour atteindre le pic de 174 435 primo-demandeurs en 2015 au plus haut des arrivées migratoires en Europe (données Eurostat). Commence alors une série de mesures gouvernementales pour restreindre à la fois l’accès au territoire mais également le droit d’asile. Le gouvernement décide de la construction de murs et de clôtures électrifiés, de renforcer la présence des forces policières et de l’armée aux frontières, et fait également adopter en juillet 2016 des amendements législatifs autorisant l’expulsion et le refoulement de toute personne étrangère en situation irrégulière sur une bande de 8 km de large le long de la frontière avec la Serbie et la Croatie, sans examen de leur situation, ni accès à la procédure d’asile ni décision administrative qui pourrait faire l’objet d’un recours. Deux zones de transit sont installées le long de la frontière pour déposer une demande avec une admission quotidienne très réduite des personnes. Prorogée en mars 2021, cette décision permet de poursuivre une pratique pourtant illégale au regard du droit européen et international.
En mars 2017, le Parlement hongrois adopte une nouvelle loi prévoyant la détention obligatoire de tous les demandeurs d’asile, incluant les mineurs, durant toute la procédure d’asile. En 2018, le gouvernement décide de limiter l’action des associations et des citoyens qui viennent en aide aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Puis en 2020, la crise sanitaire permet au gouvernement de faire adopter une loi restreignant encore l’accès au territoire pour les demandeurs d’asile. À présent, toute personne qui se présente à la frontière hongroise pour demander l’asile est renvoyée avec pour instruction de se rendre auprès d’une ambassade hongroise en dehors de l’Union européenne (UE). Suite à ces mesures, la Hongrie enregistre ainsi dès 2016 une baisse importante des primo-demandeurs d’asile (près de 30 000), qui se poursuivra jusqu’à aujourd’hui avec 465 primo-demandeurs en 2019 et 90 en 2020. Cependant, si la demande d’asile est au plus bas, les violations de droits et les refoulements atteignent des niveaux record. Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 71 000 personnes ont été refoulées depuis 2016. Les quelques personnes qui ont pu obtenir un statut de protection en Hongrie font face à de nombreuses difficultés d’intégration alors que tous les programmes et dispositifs publics d’aide pour les réfugiés ont été supprimé en 2016 déplore le rapport AIDA sur la Hongrie. Par ailleurs, ces mesures se sont accompagnées de campagnes de dénigrement, d’intolérance et de xénophobie à l’encontre des réfugiés et des migrants initiées par le gouvernement hongrois.
Face à cette dégradation du cadre légal en matière d’asile et des conditions d’accueil, la Commission européenne a initié de multiples procédures d’infraction débouchant, après plusieurs années, sur des condamnations par la Cour de Justice de l’UE (CJUE). Selon la base de données de la Commission sur les procédures d’infraction, pas moins de sept procédures sont actuellement en cours contre la Hongrie concernant le respect du droit d’asile, et deux condamnations ont été prononcées par la CJUE dans le cadre de procédures initiées par la Commission. La première d’avril 2020 porte sur le refus de participation de la Hongrie (ainsi que de la Pologne et la République tchèque) au système de relocalisation mis en place par le Conseil de l’UE en 2015, et la deuxième de décembre 2020 sur la limitation de l’accès à l’asile, la rétention irrégulière des demandeurs d’asile dans les zones de transit et les pratiques de refoulement. Par ailleurs, la CJUE a également condamné la Hongrie suite à une saisine par des juges administratifs hongrois dans le cadre d’une plainte de demandeurs d’asile qui s’était vu refuser l’examen de leur demande d’asile et ont étaient transférés dans les zones de transit pour être éloignés. Deux affaires sont actuellement en cours d’examen à la CJUE portant sur l’incrimination des associations et citoyens portants assistance aux demandeurs d’asile et aux réfugiés (saisine en juillet 2019) et sur l’obligation de de se rendre dans une ambassade hongroise en dehors du territoire de l’UE pour déposer une demande d’asile et accéder au territoire hongrois déposé en juillet 2021.
Les procédures et les condamnations se multiplient mais elles ne semblent pas faire plier le gouvernement hongrois déterminé à « protéger ses frontières et celles de l’Europe ». Suite à la condamnation en avril 2020 de la Hongrie, la Pologne et la République tchèque pour avoir refusé d’accueillir des demandeurs d’asile de Grèce et d’Italie dans le cadre du programme de relocalisation en 2015, la ministre de la Justice hongroise, Judit Varga, soulignait que « cette décision n’aura aucune conséquence. La politique de quotas étant depuis longtemps caduque, nous n’avons aucune obligation de prendre des demandeurs d’asile » abondé par le premier ministre tchèque, Andrej Babis « Nous avons perdu le différend, mais ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est que nous n’avons rien à payer ». Si cette décision de la CJUE est restée sans suite, la Commission européenne a décidé de lancer une nouvelle procédure en juin 2021 contre la Hongrie pour non-respect de la décision de la CJUE de décembre 2020. Une énième procédure pour l’institution de l’UE garante du respect du droit européen mais qui peine à mener à bien cette mission.
Cette impuissance est constatée plus largement au sein des instances de l’UE comme l’a montré le Conseil européen de juin 2021 lors duquel la nouvelle législation hongroise anti-LGBT a mobilisé une partie des États membres pour réaffirmer la protection des droits fondamentaux et de l’État de droit. Le Parlement européen a appelé à plusieurs reprises les États à agir face à la dégradation de la défense des droits humains y compris du droit d’asile en Hongrie. En septembre 2018, les députés européens adoptent en plénière une proposition de décision pour déclencher la procédure de l’article 7.1 du Traité sur l’UE, une première historique pour le Parlement, afin de déterminer s’il y a un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs européennes pouvant conduire à des sanctions importantes comme la suspension du droit de vote. En 2020 et en 2021, les députés continuent de déplorer une détérioration de la situation malgré le déclenchement de la procédure dans laquelle ils soulignent « l’incapacité du Conseil à utiliser efficacement l’article 7 » et exhortent la Commission à utiliser tous les outils à disposition, notamment le budget de l’UE, pour prévenir tout risque de violations des valeurs communes. Si les institutions de l’UE doivent renforcer leur action pour garantir le respect des droits fondamentaux dans chaque Etat membre, incluant le droit d’asile inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, la mise en place de nouveaux outils de suivi et d’action sur la mise en œuvre du régime d’asile européen comme prévue au sein de la nouvelle Agence européenne de l’asile peut permettre d’espérer une meilleure protection et mise en œuvre du droit d’asile en UE.