Une violation institutionnelle du droit d’asile aux frontières européennes avec la Biélorussie
Depuis plusieurs mois, la Pologne, la Lettonie et la Lituanie enregistrent une hausse des arrivées migratoires à leurs frontières depuis la Biélorussie. Si l’instrumentalisation des vies humaines par Minsk est largement condamnée par l’Union européenne, la réponse des États membres n’est pas conforme au cadre juridique normalement applicable. Les pratiques attestées de refoulement ont notamment conduit à la mort tragique de plusieurs personnes.
Selon l’agence européenne Frontex, 5 318 traversées irrégulières ont été enregistrés entre janvier et août 2021 entre la Biélorussie et la Pologne, la Lituanie et la Lettonie, soit 1521% de plus par rapport à la même période en 2020. Les principaux pays d’origine enregistrés sont l’Irak (3 269), l’Afghanistan (387), le Congo (203), la Russie (171), et la Syrie (158). L’agence souligne que les arrivées ont particulièrement augmenté à partir de juin et juillet 2021 alors que le nombre d’arrivées enregistrées en janvier et février étaient à des niveaux bien plus faibles (respectivement 22 et 14). Derrière cette hausse des arrivées, les autorités nationales et européennes dénoncent une instrumentalisation par le régime autoritaire biélorusse de Loukachenko afin de déstabiliser l’UE et certains Etats membres en facilitant l’arrivée de ressortissants de pays tiers, notamment irakiens, en leur délivrant des visas de tourisme.
Suite à la hausse des arrivées, Frontex a annoncé en juillet le déploiement d’équipes européennes de garde-frontières en Lettonie et en Lituanie, ainsi que le lancement d’une intervention rapide en Lituanie. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) a également annoncé à la mi-juillet la signature d’un plan opérationnel de soutien avec la Lituanie afin d’apporter un appui en matière d’enregistrement des demandes d’asile, de traitement des demandes dans le cadre de la procédure d’asile et de conditions matérielles d’accueil. Malgré la solidarité européenne affichée et félicitée par la Commission européenne, la situation sur le terrain est particulièrement inquiétante. Un état d’urgence a été déclaré le long de la frontière dans les trois pays et des modifications juridiques ont restreint le droit de demander l’asile.
Le 24 août, la représentation du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Pologne a alerté sur les pratiques de refoulement d’un groupe de plusieurs dizaines de personnes détenues dans la bande frontalière à la frontière polono-biélorusse, dont des femmes, des enfants et des personnes nécessitant des besoins médicaux. Le HCR souligne par ailleurs que certains ont manifesté leur intention de demander l’asile. L’agence onusienne rappelle alors les obligations découlant du droit international, européen mais aussi polonais : l’accès au territoire et à l’asile doit être respecté conformément au principe de non-refoulement. La Cour européenne des droits de l’Homme a ordonné le 25 août des mesures provisoires contre la Pologne et la Lettonie afin de répondre aux besoins matériels des personnes bloquées à la frontière. Un position partagée par la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui demande à ce que les associations puissent assurer un accès à une aide humanitaire et que l’accès au droit d’asile soit garanti. En septembre, six personnes sont décédées le long de la frontière polono-biélorusse, et d’autres ont été hospitalisées. Le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont fait part de leur choc face à la nouvelle de ces décès et ont demandé l’accès immédiat aux personnes concernées. Les agences onusiennes demandent également à explorer différentes options pour les personnes bloquées aux frontières incluant l’accès à l’asile, aux regroupements familiaux et au retour volontaire.
En Lituanie, les autorités ont introduit et fait voter un projet de loi permettant la privation de liberté automatique, une limitation au droit au recours contre les rejets de demandes d’asile, et une possibilité d’éloignement durant la procédure d’appel. Ces mesures sont particulièrement inquiétantes et en violation du droit de l’UE en matière d’asile et de la Convention européenne des droits de l’homme. A ce titre, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a demandé dans un courrier au Premier ministre lituanien de répondre à ces défis migratoires dans le respect des droits humains et du droit d’asile. Les modifications en matière de garanties procédurales pourraient compromettre le respect du principe du non-refoulement, le droit à un recours effectif et induire une privation de liberté de facto.
En Lettonie, l’augmentation des arrivées a entraîné la déclaration de l’état d’urgence le long de la frontière avec la Biélorussie, permettant un soutien de l’armée et de la police aux gardes-frontières menant à des pratiques de refoulement.
La réponse des autorités nationales est particulièrement inquiétante et en violation directe du droit d’asile. Dans une note d’analyse, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) souligne que le gouvernement justifie l’illégalité des mesures adoptées avec le droit européen par une situation extraordinaire et de crise. Ces changements ont également été déplorés par le HCR dans un document d’analyse des amendements apportés au cadre légal lituanien en matière d’asile. La Cour européenne des droits de l’homme continue à demander l’application des mesures provisoires par la Pologne et la Lituanie pour garantir une aide humanitaire aux personnes le long de la frontière, alors que la commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson s’est rendue sur place au début du mois d’octobre pour rencontrer le ministre de l’Intérieur polonais. S’ils ont communément condamnés la « guerre hybride » menée par la Biélorussie, la commissaire a manqué une occasion importante de condamner publiquement les pratiques de refoulement, mais aussi d’appeler à une assistance d’urgence et à garantir l’accès au droit d’asile. Le vice-président de la Commission européenne, Magaritis Schinas, s’est également montré très évasif sur ces questions soulignant que la réponse se trouve dans les négociations en cours sur le Pacte européen sur la migration et l’asile qui n’a pas encore trouvé de consensus. Cependant, une délégation de la Commission européenne se rendra début octobre en Pologne afin d’échanger en profondeur avec des représentants du ministère de l’Intérieur et de l’Administration. L’opportunité pour la Commission de rappeler les obligations en matière de respect des droits humains et du droit d’asile d’un État membre de l’UE, quelles que soient les circonstances.