Le navire Ocean Viking affrété par l’association SOS Méditerranée en partenariat avec la Fédération internationale des sociétés de la Croix rouge et du croissant rouge (IFRC) a secouru 234 personnes entre le 22 et le 26 octobre, dans la zone de secours et de sauvetage (zone SAR) de l’Italie et à proximité de ses côtes. Sans réponse de l’Italie ou de Malte, les deux « ports sûrs » les plus proches normalement tenus au titre du droit international maritime d’accueillir le navire, la France a annoncé que l’Ocean Viking serait accueilli au port de Toulon le vendredi 11 novembre.

Le jour même de l’arrivée du navire, le ministre de l’Intérieur a déclaré sur les réseaux sociaux que 11 États Européens s’étaient déjà engagés « à reprendre 175 des 234 passagers ». Ces annonces s’inscrivent dans le cadre des dispositifs de relocalisation entre pays européens, fondés sur des accords politiques visant à répartir l’accueil entre plusieurs États membres lors des arrivées importantes sur les côtes méditerranéennes. Non contraignant, ni pérenne ni prévisible, ce mécanisme de relocalisation est notamment fondé sur une initiative de la présidence française de l’UE en juin 2022 faisant suite à des engagements du même type formulés précédemment – notamment le mécanisme de relocalisation obligatoire instauré en 2015 et qui a connu de nombreuses difficultés de mise en œuvre (voir notre article de mai 2020).

Alors que plusieurs opérations de relocalisation ont lieu régulièrement depuis Malte et l’Italie, la mise en œuvre de ce dispositif demeure opaque à plusieurs niveaux : on ne sait pas exactement qui est concerné (toutes les personnes débarquées, seulement celles qui demandent l’asile, ou celles dont la demande a déjà été au moins pré-examinée), à quel moment la relocalisation intervient, quels sont les critères permettant d’orienter vers l’un ou l’autre des pays volontaires, dans quel cadre légal s’opère la relocalisation etc.

L’arrivée d’un navire de sauvetage en France, pour la première fois, permet d’apporter certains éclairages sur l’application du mécanisme de relocalisation à ce cas particulier (sans que l’on ne puisse savoir si ces pratiques sont identiques lors des opérations menées par d’autres pays européens).

Tout d’abord, et contrairement aux premières annonces ministérielles, l’enjeu de relocalisation n’a pas été pris en compte dès l’arrivée pour toutes les personnes débarquées mais dans un second temps : les autorités françaises ont d’abord mené les procédures liées au placement en zone d’attente (ZA), lieu de privation de liberté où toutes les personnes ont été enfermées dans un premier temps. Les 44 mineurs non accompagnés (MNA) ont été rapidement libérés et placés auprès du service départemental d’Aide sociale à l’enfance mais au moins 26 d’entre eux ont rapidement quitté l’hôtel dans lequel ils avaient été orientés. Les personnes maintenues en zone d’attente ont entamé une demande d’asile à la frontière : 66 personnes ont ainsi été admises sur le territoire pour y faire enregistrer leur demande d’asile, après que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ait estimé en zone d’attente que leur demande n’était pas « manifestement infondée ». Les autres ont été libérés par le juge des libertés et de la détention (JLD) qui n’a pas validé le maintien en zone d’attente, en raison d’irrégularités procédurales. Seules quatre personnes sont restées en ZA en vue d’être réacheminées dans leur pays d’origine, ce qui a été le cas pour au moins deux personnes renvoyées vers le Mali.

Suite à cette phase de zone d’attente, les autorités françaises n’avaient donc gardé un contact qu’avec les 66 personnes admises sur le territoire au titre de l’asile – orientées vers des lieux d’hébergement dédiés – et une quinzaine de MNA n’ayant pas fugué. A ce stade, la relocalisation annoncée pour 175 personnes ne pouvait donc concerner qu’environ 80 personnes. Certaines sorties des lieux d’accueil ont été constatés ensuite, réduisant encore ce nombre.  

Celles orientées vers le dispositif national d’accueil pour demandeurs d’asile se sont ainsi vu proposer une orientation vers un autre pays européen. La condition pour être éligible à la relocalisation était d’avoir enregistré sa demande d’asile en France, au sein d’un guichet unique pour demandeur d’asile. Aucune information disponible ne permet de savoir si les MNA ont été informés et potentiellement orientés vers cette procédure de relocalisation.

Les États membres ont envoyé à la France leurs souhaits en termes de nombre (allant de 2 à 80) et de critères parfois très précis (au regard de la vulnérabilité, des liens familiaux, de la nationalité, de langue parlée, de composition familiale etc.). Les demandeurs ont alors été informés du processus de relocalisation et des possibilités pour eux d’être admis dans un autre État européen. Ils se sont vu remettre un formulaire de consentement (sur lequel ils pouvaient revenir à tout instant), ne permettant cependant pas d’indiquer une préférence pour un État. Suite à ces démarches, les États doivent encore étudier les dossiers et valider la relocalisation, parfois après une visite au sein des lieux d’accueil en France.

La base juridique du transfert semble être le règlement Dublin : si le critère du pays de première entrée (ici la France) est le plus souvent utilisé, ce texte européen permet aussi de s’accorder sur d’autres règles de responsabilité au cas par cas en faisant jouer la « clause de souveraineté » (article 17).

À la mi-décembre 2022, l’ensemble de ce processus complexe n’avait a priori abouti à aucune relocalisation effective vers un autre État en raison d’un nombre limité de personnes éligibles, des limites posées par les États ayant accepté les relocalisations, et des refus d’être relocalisés pour la plupart des demandeurs d’asile restés dans les centres d’accueil (d’autres ayant déjà quitté ces lieux pour rejoindre par eux même d’autres pays européens).