Hébergement des demandeurs d’asile : une couverture des besoins toujours limitée
Malgré de nombreuses créations de places au sein de lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile ces dernières années, la couverture des besoins demeure limitée. Une analyse statistique révèle que plusieurs milliers de demandeurs d’asile ne sont toujours pas hébergés au sein du dispositif qui leur est dédié, une part croissante d’entre eux étant même privée de toute aide matérielle.
L’une des données principale dans l’analyse de l’accueil des demandeurs d’asile porte sur la couverture des besoins en matière d’hébergement. Malgré l’importance évidente de ces éléments dans la mise en œuvre de politiques publiques adaptées, il n’est pas simple de trouver puis de décrypter les données disponibles et celles-ci sont souvent mal interprétées.
Combien de personnes ont une demande d’asile en cours de procédure en France ?
On sait grâce à la base de données de l’agence européenne Eurostat qu’il y avait au total 142 940 demandeurs d’asile enregistrés par la France au 31 décembre 2022 et dont la demande était encore en cours d’instruction à cette date. Cette donnée inclut l’ensemble des personnes ayant une demande répertoriée par une préfecture française, qu’il s’agisse de procédures normales ou accélérée, ou de procédures Dublin. Il s’agit du nombre maximum de personnes qui pourraient solliciter le dispositif national d’accueil pour demandeurs d’asile, mais une partie n’est cependant pas éligibles aux conditions matérielles d’accueil (CMA).
Combien de demandeurs d’asile sont éligibles aux conditions matérielles d’accueil ?
À ce sujet, on constate ces dernières années qu’une part croissante des personnes dont la procédure d’asile est en cours d’instruction ne sont pas éligibles aux CMA : ils ne sont donc pas hébergés dans un lieu dédié (notamment les centres d’accueil pour demandeurs d’asile – CADA – ou les hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile – HUDA) mais ne touchent pas non plus l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA).
D’après les indicateurs du mois de décembre 2022 publiés sur Twitter en janvier 2023 par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) – administration en charge de l’attribution des CMA, 100 598 personnes étaient bénéficiaires de l’ADA au 31 décembre 2022, ce qui représente le nombre total de demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil à cette date.
On constate ainsi que seulement 70,4% des 142 940 demandeurs d’asile dont la demande était en cours d’instance au 31 décembre 2022 (devant l’OFPRA, la CNDA, ou dans le cadre d’une procédure Dublin) étaient éligibles aux conditions matérielles d’accueil. Au 31 décembre 2022, 42 342 demandeurs d’asile enregistrés par les autorités françaises n’avaient ainsi aucune aide matérielle. Une partie d’entre eux avaient peut-être déjà quitté le territoire dans le cadre de mouvements secondaires (notamment ceux s’étaient vu retirer les CMA car considérés « en fuite » dans le cadre d’une procédure Dublin) mais la majorité d’entre eux était probablement toujours en France.
La loi permet dans plusieurs hypothèses à l’OFII de refuser, suspendre ou retirer les conditions matérielles d’accueil aux demandeurs d’asile, et ces pratiques (généralement facultatives) semblent s’être largement développées voire systématisées ces dernières années. L’OFII a indiqué dans un rapport parlementaire publié en octobre 2022 avoir pris 31 458 décisions de refus et d’interruption des conditions matérielles d’accueil en 2021 et 19 877 du 1er janvier au 31 juillet 2022.
L’augmentation du nombre de demandeurs d’asile non éligibles aux conditions matérielles d’accueil est en partie liée à la mise en place du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés lancé en 2021. Celui-ci a permis un desserrement de l’Ile-de-France avec 36 106 personnes orientées depuis les GUDA franciliens vers des GUDA d’autres régions entre 2021 et 2022, (dont 19 080 personnes sur la seule année 2022 d’après la préfecture d’Ile-de-France). Mais une partie importante des demandeurs d’asile refuse cette orientation directive vers un hébergement hors Ile-de-France, et se voit par conséquent priver des CMA. Le rapport parlementaire précité nous apprend ainsi que « du 4 janvier 2021 au 31 juillet 2022, le taux moyen de refus des propositions d’orientation directive formulées dans les guichets uniques franciliens s’est élevé à 27 % en moyenne » alors que parmi ceux ayant accepté l’orientation on constate un taux d’arrivée dans la région d’accueil de seulement 83% - ceux qui acceptent l’orientation mais ne se présentent pas dans leur lieu d’hébergement désignés sont aussi privés des CMA.
Quelle couverture des besoins d’hébergement des demandeurs d’asile ?
Si l’on ne prend en compte que les demandeurs d’asile éligibles aux CMA au 31 décembre 2022 (100 598), les autres ne pouvant être orientés vers un lieu d’hébergement du DNA, la couverture des besoins est de 58% d’après le projet de loi de règlement pour le budget de l‘État publié en avril 2023. La part de 58% représente donc 58 347 demandeurs d’asile hébergés au sein du DNA fin 2022 : ce public n’occupe donc que 56% des 103 914 places pour demandeurs d’asile du DNA financées par l’État, dont une partie est mobilisées par des déboutés ou réfugiés en présence autorisée ou indue, est vacante (en raison par exemple d’une orientation tardive) ou indisponible (en raison de travaux par exemple). L’enjeu de la fluidité du parc d’hébergement apparait ainsi comme une problématique toujours majeure.
Fin 2022, 42 251 demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil et touchant ainsi l’ADA, n’étaient donc pas orientés vers le dispositif national d’accueil. Sur l’ensemble de l’année 2022, le projet de loi de règlement pour le budget de l’État 2022, précité, précise que le montant additionnel de l’ADA, prévu pour le demandeur d’asile « qui n'a pas manifesté de besoin d'hébergement ou qui a accès gratuitement à un hébergement ou un logement à quelque titre que ce soit » (CESEDA, article D. 553-9) a été versé en moyenne « à près de 28 870 individus ».
Si l’on rapporte le nombre de demandeurs d’asile effectivement hébergés dans le DNA au 31 décembre 2022 (58 347), à celui du nombre de personnes dont la demande est enregistrée par les autorités françaises à cette date et toujours en cours d’instruction (142 940), la couverture des besoins n’est que de 40,8% : plus de 84 500 demandeurs d’asile enregistrés en France n’avait pas d’hébergement dédié au 31 décembre 2022. Une partie d’entre elle, notamment les personnes sous procédure Dublin ayant poursuivi leur parcours vers un autre État européen, ne résidait cependant plus en France à cette date. D’autres peuvent disposer de solutions d’hébergement personnelles ou trouver une place au sein du dispositif d’hébergement généraliste (lui-même saturé et ne proposant pas un accompagnement dédié à leur situation). La privation des CMA peut par ailleurs paraître légitime dans certaines situations, mais ces pratiques croissantes ont pour effet d’atténuer statistiquement la réalité des besoins d’hébergement.
Une situation préoccupante rappelée récemment par plusieurs institutions
En décembre 2022, cette situation a été dénoncée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies qui indique dans ses observations finales adressées à la France que « malgré les efforts déployés par l’État partie, le Comité est toujours préoccupé par les insuffisances du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, notamment concernant les difficultés pour accéder à des lieux d’hébergement et les mauvaises conditions de ceux-ci », et se dit « préoccupé par la situation déplorable des conditions de vie et les mauvais traitements auxquels font face les personnes migrantes ».
En avril 2023, la Cour des comptes a formulé comme recommandation unique dans le cadre de son rapport d’exécution budgétaire pour l’année 2022 d’ « améliorer le taux d’hébergement des demandeurs d’asile en poursuivant le développement des capacités d’accueil du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (DNA), simplifiant les types d’hébergement des DNA et homogénéisant leurs modalités de tarification et de financement. (DGEF) ».