Schéma national d’accueil : malgré l’atteinte des objectifs chiffrés, des impacts négatifs pour de nombreux demandeurs d’asile
Le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile pour la période 2021-2023, publié par le ministère de l’Intérieur le 18 décembre 2020, a pour objectif de rééquilibrer l’accueil des demandeurs d’asile sur le territoire. Les objectifs fixés pour l’année 2021 ont été atteints et ont permis un désengorgement de la région Ile-de-France. Ces orientations viennent cependant mobiliser fortement le parc d’hébergement local, et diminuent les possibilités d’hébergement pour les demandeurs d’asile enregistrés dans les autres régions.
Le ministère de l’Intérieur a publié le 18 décembre 2020 un « schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés » pour la période 2021-2023, dont l’un des objectifs principaux est de« rééquilibrer l’accueil des demandeurs d’asile sur le territoire » en « orientant mensuellement environ 2 500 demandeurs d’asile depuis l’Île-de-France vers les autres régions du territoire ». Dès leur passage au sein d’un guichet unique francilien, les demandeurs d’asile peuvent être orientés vers un hébergement dans une autre région. Ils sont orientés vers des CAES qui jouent un rôle de « sas d’accueil » dans la région d’arrivée, et doivent ensuite se rendre vers une autre place du DNA dans la région. En cas de refus de l’orientation, ou si les demandeurs d’asile ne se rendent pas dans le lieu d’hébergement indiqué, ils peuvent se voir priver des conditions matérielles d’accueil. Après l’annulation de plusieurs textes d’application par le Conseil d’État, c’est finalement un arrêté du 13 mai 2022 qui fixe le cadre de répartition découlant du schéma national d’accueil. L’arrêté inclut l’outre-mer dans le décompte des places disponibles, mais n’apporte pas de modification quant aux objectifs de rééquilibrage fixés initialement, et qui ne concernent que les régions métropolitaines.
L’orientation mensuelle de 1 000 demandeurs d’asile jusqu’à fin mars 2021, puis de 1 300 d’avril à fin 2021 était prévue, soit un total d’environ 15 000 personnes sur l’ensemble de l’année. Un rapport parlementaire publié à l’automne 2021 dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances indiquait que, selon le ministère de l’Intérieur, plus de 400 personnes par semaine avaient été orientées depuis le début de l’année. Durant les sept premiers mois de l’année 2021, 10 434 personnes avaient été orientées depuis l’Île-de-France vers une autre région au titre du schéma national d’accueil. Dans une audition en janvier 2022 au Sénat, la ministre déléguée à l’Intérieur indiquait que 16 000 demandeurs d’asile avaient été redirigés vers une autre région dès le 1er novembre 2021. Les objectifs chiffrés sont donc largement atteints, ce qui produit un effet significatif de désengorgement de l’Île-de-France et de baisse du nombre de personnes suivies par les structures de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) après le passage en guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA).
A contrario, on constate, comme c’était prévisible et annoncé (voir notre article de janvier 2021), que l’orientation des demandeurs d’asile depuis l’Île-de-France, en mobilisant fortement l’ensemble du parc d’hébergement local, vient diminuer les possibilités d’hébergement pour les demandeurs d’asile enregistrés dans les autres régions. Par suite, la part des personnes acheminées vers un hébergement depuis les SPADA des métropoles régionales, qui était plutôt en hausse ces dernières années du fait de l’augmentation des capacités d’hébergement, a stagné ou reculé dans des territoires où la captation des places pour la mise en œuvre du schéma national s’effectue au détriment des besoins d’hébergement, constatés localement, parfois de manière aiguë. Dans plusieurs grandes métropoles, un demandeur d’asile – a fortiori lorsqu’il ne présente aucun critère de vulnérabilité susceptible de prioriser son orientation –a donc globalement plus de chances de rester sans solution d’hébergement pendant toute la durée de la procédure qu’une personne évacuée d’un campement parisien ou enregistrant spontanément sa demande auprès d’un GUDA francilien.
Si le schéma national produit incontestablement l’effet recherché au niveau francilien, les craintes exprimées par certains acteurs au moment de sa publication se voient traduites dans les faits. Dans les métropoles régionales où se concentrent les arrivées, l’orientation vers les autres départements de la région s’est ralentie. On peut craindre que, constatant la difficulté d’être orientés dans un hébergement dans les métropoles régionales, les demandeurs d’asile se concentrent en Île-de-France, quitte à vivre dans l’attente en campement, afin d’être orientés rapidement vers un CAES dans une autre région. Si l’on ne veut pas favoriser une surconcentration en région parisienne, il est plus que jamais nécessaire d’optimiser la répartition au niveau infrarégional.
Le schéma national suscitait également des interrogations quant à la mise en œuvre des mesures visant à priver des conditions matérielles d’accueil (CMA) les demandeurs d’asile qui refusent l’orientation vers une autre région ou ne s’y rendent pas. D’après les données fournies par le ministère de l’Intérieur, présentes dans le rapport parlementaire précité et portant sur les huit premiers mois de l’année 2021, le taux de refus des affectations est d’environ 15% et, une fois la destination acceptée, le taux de non-présentation des demandeurs d’asile en CAES est d’environ 12%. Cela se reflète sur les données à l’échelle nationale, où les interruptions des conditions matérielles d’accueil pour non présentation ou refus du lieu d’hébergement étaient, sur le seul premier semestre 2021 (1 683) supérieures de 85% au total de l’année 2020 (905) et de 127% par rapport à 2019 (788). Pour une partie des demandeurs d’asile, la mise en œuvre du schéma national a donc eu pour effet de les priver de toute ressource. Il serait utile de disposer d’éléments d’analyse plus précis pour mieux comprendre les raisons de ces refus et de ces non présentations. Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit en effet que la région d’accueil ne soit pas seulement déterminée par l’OFII en fonction de la clé de répartition, mais également « en tenant compte des besoins et de la situation personnelle et familiale du demandeur au regard de l'évaluation [de vulnérabilité] et de l'existence de structures à même de prendre en charge de façon spécifique les victimes de la traite des êtres humains ou les cas de graves violences physiques ou sexuelles ». L’analyse des modalités de mise en œuvre de cette possibilité apporterait sans doute une partie des explications.