Rétention administrative : l’émergence de la « menace à l’ordre public » comme critère prépondérant du placement
Comme chaque année depuis 2011, les associations assurant une mission d’aide à l’exercice des droits en centre de rétention administrative publient un rapport sur la situation dans ces lieux. Celui portant sur l’année 2022 souligne un enfermement « trop régulier et disproportionné » et une prépondérance inquiétante de la notion de « menace à l’ordre public » pour justifier les placements.
Le mercredi 26 avril, le rapport annuel dressant l’état des lieux de la situation dans les centres de rétention administrative (CRA) et dans les locaux de rétention administrative (LRA) pour l’année 2022 a été publié par les associations Forum réfugiés, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte. Ces cinq organisations assurent une mission d’information et d’aide à l’exercice effectif des droits auprès des personnes retenues.
Un centre de rétention administrative (CRA) est un lieu privatif de liberté dans lequel l’administration place des personnes étrangères afin de mettre en œuvre leur éloignement. On en dénombre 21 dans l’hexagone et 4 en Outre-mer pour un total de 1 936 places. Un local de rétention administrative (LRA) quant à lui, est un lieu d’enfermement dans lequel les personnes étrangères peuvent être placées pour une courte durée, avant un éventuel transfert dans un CRA.
En 2022, 43 565 personnes ont été enfermées en CRA, dont 15 922 en métropole et 27 643 en outre-mer, soit une évolution de près de 3% par rapport à 2021. Parmi ces personnes, on dénombre 94 mineurs, dont l’âge moyen est de 6 ans, accompagnant leur famille enfermée en CRA. Les principaux pays d’origine des personnes enfermées en 2022 étaient l’Algérie (23%), l’Albanie (7%) et le Maroc (9%). La durée moyenne d’enfermement en CRA, s’allongeant progressivement chaque année, est désormais de 23 jours. Pour rappel, elle était de 12,8 jours en 2017 avant le doublement de la durée maximale de rétention en 2018 (passant de 45 à 90 jours).
Le rapport souligne que la première raison de placement en rétention reste la décision d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec plus de 67% des cas recensés. Elle est suivie des décisions de transfert selon la procédure « Dublin » (demandeurs d’asile renvoyés vers un autre pays européen), puis par l’interdiction de territoire français (ITF) prononcée par le juge pénal en cas de condamnation à une infraction.
Les éloignements en dehors de l’Union européenne se font majoritairement vers l’Albanie (1 447 personnes éloignées vers cet État), l’Algérie (749) et la Tunisie (322). Globalement, le taux d’éloignement depuis les CRA demeure limité : seules 45% des personnes placées en CRA ont été éloignées depuis ces lieux, plus de la moitié des retenus étant libérés (notamment pas les juges constatant des procédures irrégulières) ou assignées à résidence. Les associations constatent ainsi que « trop de décisions d’éloignement et de placement en rétention sont prises sans discernement, au risque de commettre des erreurs d’appréciation aux lourdes conséquences ».
Enfin, le rapport 2022 met en lumière les inquiétudes liées à la multiplication des recours au motif de « menace à l’ordre public » ou de « troubles à l’ordre public » pour justifier le placement. Cette tendance, consacrée par deux instructions ministérielles publiées dans l’année, aboutit notamment à accroitre la part des sortants de prison en CRA. Les cycles d’enfermement souvent inutiles se prolongent ainsi pour les personnes, tandis que cette priorité donnée au placement en rétention des étrangers condamnés pénalement participe à la confusion entre les cadres juridiques et à la perception de ces situations par l’opinion publique. Elle a aussi pour effet d’accroitre la tension au sein des CRA, des lieux initialement destinés à enfermer des étrangers en situation irrégulière – indépendamment de toute notion de dangerosité - pour lesquels existent des perspectives d’éloignement.