Mineurs non accompagnés : l’évaluation de l’âge au cœur d’un débat de compétence
Le cadre juridique entourant le parcours d’entrée dans la protection de l’enfance pour les mineurs non accompagnés, élaboré à partir de 2013, a été renforcé et consolidé en 2016.
Une loi sur la protection de l’enfance, complétée par plusieurs textes réglementaires, a précisé les contours de l’évaluation sociale menée par les conseils départementaux et a confirmé le mécanisme de répartition des mineurs dans les départements (voir notre article de newsletter d’août 2016). Bien que limitée dans le temps, pour entrer dans un cadre juridique préexistant qui ne permet aux départements d’accueillir un mineur sans décision judiciaire que pendant 5 jours, la consécration de l’évaluation sociale comme méthode de base pour évaluer la minorité et l’isolement constitue une avancée significative. En l’absence de méthode scientifique permettant de déterminer l’âge d’un jeune, l’évaluation sociale, entourée de certaines précautions indispensables et articulée avec les dispositions portant sur l’état civil, est en effet considérée comme la pratique la plus respectueuse des droits de l’enfant (voir par exemple un rapport du Bureau européen à l’asile de 2013 sur la détermination de l’âge en Europe).
Alors que la mise en œuvre de ces dispositions semblait très inégale selon les départements et les juridictions, nombre d’entre eux ne respectant que partiellement le nouveau cadre légal, l’Assemblée des départements de France (ADF) a relancé une proposition déjà ancienne visant à accroître le rôle de l’État dans la prise en charge de ce public. Dans un contexte de hausse importante des arrivées et appuyés par un rapport du Sénat en date de juin 2017, les représentants des départements ont trouvé un écho favorable de la part du gouvernement.
Lors de la présentation du plan gouvernemental sur l’asile et l’immigration le 12 juillet 2017, il a été annoncé qu’ « un plan d’action visant à améliorer l’accueil des mineurs non-accompagnés sera élaboré, en concertation avec les conseils départementaux ». Une mission a été confiée en octobre 2017 à plusieurs services d’inspections et à des représentants des départements (mission bipartite), visant à « identifier des solutions opérationnelles permettant d'améliorer l’efficacité, la cohérence et la soutenabilité budgétaire de la phase d'évaluation et de mise à l'abri de la politique publique mise en œuvre au profit des MNA ». La question du périmètre d’intervention de l’État est au cœur des débats, les différents scenarii portant sur un remboursement plus important des frais d’évaluation engagés par les départements - qui finance déjà cinq jours d’évaluation à hauteur de 250 € par jour et par jeune évalué, et contribuera en 2018 à hauteur de 132 millions d’euro aux frais engagés par les départements pour les MNA - ou une prise en charge intégrale par l’État la phase d’évaluation sans intervention des départements. Après la remise du rapport de la mission conjointe au début de l’année 2018, le Premier ministre et l’ADF se sont réunis mais n’ont pas réussi à trouver un accord dans un premier temps.
Le 17 mai 2018, l’ADF a finalement accepté la proposition du gouvernement d’apporter « une aide concentrée sur la phase d’accueil et d’évaluation, avec 500 euros par jeune à évaluer plus 90 euros par jour pour l’hébergement pendant 14 jours puis 20 euros du 15ème au 23ème jour ». Ce dispositif devrait remplacer le remboursement prévu jusqu’alors de 250 € par jour et par jeune évalué, pour une durée maximale de 5 jours. Pour un département qui accueille un jeune pendant une évaluation de 20 jours (accueil provisoire d’urgence suivi d’une décision judiciaire de placement pour poursuivre l’évaluation), la contribution de l’État passera donc de 1 250 € à 1 880 €.
Ce débat sur le financement ne devrait pas occulter les améliorations nécessaires du dispositif d’évaluation et de sa mise en œuvre. Un rapport de l’Assemblée nationale publié en octobre 2017 pointe du doigt les nombreuses défaillances des départements en la matière. Il y est indiqué qu’ « aux défauts de la mise à l’abri s’ajoute une dégradation des conditions dans lesquelles la minorité et l’isolement des jeunes étrangers sont évalués », avec des évaluations suspicieuses lors desquelles la charge de la preuve est renversée et le bénéfice du doute non pris en compte. La cheffe de la mission Mineurs non accompagnés du ministère de la Justice y reconnait que l’évaluation sociale reste « disparate dans son organisation et très inégale dans ses méthodes et ses résultats ». La seule statistique disponible dans ce domaine consiste à comparer le nombre d’évaluations déclarées par les départements à l’Agence de services et de paiement (ASP) au nombre de mineurs admis dans ces départements. Elle permet de constater que le taux moyen de reconnaissance « est tombé à 52 % en 2016 alors qu’il était de 71 % en 2013 puis de 63 % en 2014 ». La mission bipartite fait état d’un taux de reconnaissance de 56% en 2017, tout en reconnaissant les limites de cette méthode de calcul. Ces données ne prennent par exemple pas en compte les mineurs admis suite à une saisine du juge des enfants, qui représentent une part significative des admissions dans certains départements où l’évaluation sociale n’est précisément pas mise en œuvre conformément aux exigences juridiques de 2016.