Pays d’origine sûrs : une liste aux impacts majeurs pour les demandeurs d’asile
Le placement d’un pays sur la liste des « pays d’origine sûrs » n’empêche pas le dépôt d’une demande d’asile ni son instruction. Depuis la loi de 2018, il limite cependant le droit à un recours effectif pour les demandeurs d’asile originaires de ces États. C’est dans ce contexte que le Conseil d’administration de l’OFPRA a récemment confirmé la liste établie en 2015, qui comporte 16 pays.
Dans une décision du 5 novembre 2019, le Conseil d’administration (CA) de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a décidé de maintenir la liste des 16 « pays d’origine sûrs » (POS) établie en octobre 2015. Il s’agit de la 10ème décision de l’OFPRA modifiant la liste depuis l’apparition de cette notion en 2005.
La liste demeure donc composée de l’Albanie, de l’Arménie, du Bénin, de la Bosnie-Herzégovine, du Cap-Vert, de la Géorgie, du Ghana, de l’Inde, du Kosovo, de la Macédoine, de Maurice, de la Moldavie, de la Mongolie, du Monténégro, du Sénégal et de la Serbie. Le président du CA a indiqué cependant dans un communiqué que s’agissant du Bénin, « le conseil d’administration a décidé de procéder au réexamen de son inscription à l’issue d’une période de six mois ».
La loi française, qui transpose en la matière des dispositions issues du droit européen, indique qu’un pays peut être considéré comme sûr lorsqu’il peut être démontré qu’il « (…) n'y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu'il n'y a pas de menace en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle dans des situations de conflit armé international ou interne ».
L’idée, fréquemment relayée, selon laquelle les étrangers originaires de ces pays ne seraient pas éligibles à l’asile, est fausse. Le respect du droit d’asile, tel que consacré par le droit international, européen et national, exige que toute demande puisse être examinée : aucune restriction ne peut donc être posée au dépôt d’une demande d’asile par toute personne ne disposant pas de la nationalité française. Le placement d’un pays sur la liste des POS n’a donc ni pour conséquence d’empêcher l’examen de la demande, ni de priver les demandeurs d’une possibilité d’obtenir une protection suite à l’instruction de leur demande. En 2018, 2 685 décisions de protection ont ainsi été prises pour des ressortissants de POS, ce qui représente un taux d’accord global de 14% (contre 36% pour l’ensemble des demandes).
Le placement d’un pays sur la liste des POS entraîne cependant d’importantes conséquences pour les demandeurs d’asile originaires de ces États. Au moment de l’enregistrement de la demande d’asile, la préfecture place automatiquement la demande d’un ressortissant de pays d’origine sûr en procédure accélérée. Comme l’ensemble des demandes d’asile en procédure accélérée, elle doit être examinée plus rapidement par l’OFPRA mais aussi par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui statue à juge unique et non pas en formation collégiale comme c’est le cas pour les procédures normales.
Mais la principale conséquence procédurale a été introduite par la loi du 10 septembre 2018 qui a supprimé, pour les ressortissants de POS et ceux placés sous procédure accélérée pour quelques autres hypothèses, le caractère automatiquement suspensif du recours devant la CNDA. En d’autres termes, un demandeur originaire d’un pays considéré comme sûr peut être éloigné du territoire français sans bénéficier d’un double regard sur sa demande. Il s’agit de l’un des principaux reculs pour les droits des demandeurs d’asile figurant dans la loi de 2018, qui pourrait priver de nombreuses personnes de la protection au titre de l’asile dont elles relèvent : en 2018, la CNDA avait en effet prononcé 1 229 décisions de protection pour les ressortissants de POS soit 45% des accords pour ces personnes (une part supérieure à l’ensemble des bénéficiaires d’une protection, qui ont obtenu un accord de l’OFPRA pour 75% d’entre eux et de la CNDA pour 25%).
Au regard de ses conséquences, la liste des POS est donc souvent utilisée par les pouvoirs publics comme un outil de régulation des flux de demandeurs d’asile : il s’agit de rendre l’examen de certaines demandes plus rapide et de faire baisser le niveau de la demande de certains pays à travers un effet dissuasif. Cette logique implique l’absence de placement sur la liste de certains pays assurément sûrs mais dont les ressortissants ne demandent pas l’asile en France (le placement sur la liste n’aurait ainsi aucun impact en pratique). A contrario, elle incite les pouvoirs publics à placer ou maintenir certains pays sur la liste alors même que la situation dans le pays ne correspond plus à la définition légale.
À ce titre, plusieurs acteurs de l’asile ont contesté la légalité de la dernière décision du CA de l’OFPRA qui, après examen de la situation dans l’ensemble des pays de la liste, a décidé de la maintenir en l’état. Des recours ont été déposés auprès du Conseil d’État (voir notamment le communiqué de presse de Forum réfugiés-Cosi à ce sujet), qui devra statuer dans les prochains mois sur ces requêtes demandant la radiation de certains pays où des atteintes graves aux droits des personnes sont largement documentées et ne permettent pas de les considérer comme sûrs au sens de la loi. Par le passé, le Conseil d’État a exigé à cinq reprises le retrait de certains pays qui avaient été placés sur la liste par le Conseil d’administration de l’OFPRA.