Le droit européen de l’asile a introduit en 2013 une notion de vulnérabilité, non pas entendue d’un point de vue général, mais visant qualifier la vulnérabilité spéciale de certains demandeurs d’asile. La directive dite « Accueil » de 2013 dresse ainsi une liste non exhaustive des vulnérabilités qui doivent être prises en compte par les États, incluant par exemple les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes souffrant de troubles mentaux ou encore « les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle ».

Ce cadre juridique, principalement transposé en droit français dans une loi de 2015 et qui s’impose donc à l’ensemble des institutions de notre système d’asile, prévoit une prise en compte des vulnérabilités pour adapter d’une part les conditions d’accueil des demandeurs d’asile concernés et d’autre part l’instruction de leur demande. En pratique cependant, de nombreuses difficultés persistent, pour identifier ces situations et mettre en œuvre les adaptations nécessaires, principalement sur le volet de l’accueil.

C’est pourquoi le « Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés », publié le 17 décembre 2020 et surtout commenté eu regard de ses dispositions instaurant une orientation régionale des demandeurs d’asile (voir notamment notre article de janvier 2021), comporte une orientation visant à « repérer précocement et renforcer la prise en charge des vulnérabilités ». Il est mentionné dans ce schéma national la publication d’un « plan d’actions pour la prise en charge des demandeurs d’asile et bénéficiaires de la protection les plus vulnérables » en janvier 2021 (non encore publié à la date de rédaction de cet article) afin de « guider les actions menées conjointement par les services de l’État et les opérateurs pour les années à venir ».

L’un des principaux enjeux pour bien traiter cette problématique consiste à identifier les vulnérabilités des demandeurs d’asile. Or, le seul dispositif spécifiquement prévu en ce sens dans le système d’asile français s’avère très limité. Lors de l’entretien au sein du guichet unique pour demandeur d’asile (GUDA), première étape institutionnelle du parcours du demandeur, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) évalue la vulnérabilité à partir d’un questionnaire qui se concentre sur les seules vulnérabilités « objectives ». Il s’agit d’interroger le demandeur d’asile sur d’éventuels handicaps sensoriels ou moteurs, sur ses besoins d’assistance pour les actes de la vie quotidienne, ou encore sur un état de grossesse pour les femmes. Il est également possible de faire état spontanément d’un problème médical, et de transmettre des documents à caractère médical pour voir sa situation évaluée par un médecin de l’OFII. Ce dispositif ne permet pas véritablement d’aborder les enjeux liés à la traite des êtres humains ou à la santé mentale, deux problématiques pourtant très présentes au sein des demandeurs d’asile. 

Au-delà de cette première étape du parcours, le cadre juridique prévoit que les besoins particuliers en matière d’accueil pour les personnes vulnérables « sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile », ce qui devrait permettre de compléter l’évaluation initiale. Les cahiers des charges des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et  des lieux d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) indiquent que les professionnels « peuvent, à tout moment, procéder à une évaluation des vulnérabilités des personnes hébergées et doivent informer dans les meilleurs délais l’OFII de tout changement de situation de vulnérabilité ». Pour les demandeurs d’asile non hébergés, les structures de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) ont pour mission de « signaler les demandeurs vulnérables à [l’OFII] et à l’OFPRA aux fins d’adaptation des conditions matérielles d’accueil et des conditions de leur audition par l’Office ».

Cependant, en l’absence d’outils ou de formation spécifiques des personnels sur ce thème, il est difficile d’identifier certaines vulnérabilités – notamment psychologiques - et de les prendre en compte pour adapter les conditions d’accueil. Des projets visant à améliorer l’identification des besoins spécifiques des demandeurs d’asile vulnérables ont été initiés par des associations (voir notamment le projet TRACKS de Forum réfugiés-Cosi) et ont suscité l’intérêt de plusieurs institutions. Cependant ils ne couvrent pas l’ensemble des situations (le projet TRACKS cible spécifiquement les victimes de traite par exemple) et n’ont pas permis à ce jour d’établir un nouveau cadre applicable à l’ensemble des dispositifs d’accueil.

En matière d’accueil, la principale amélioration constatée récemment porte sur la création de places dédiées aux demandeuses d’asile vulnérables. Depuis 2019, le ministère de l’Intérieur finance ainsi 300 places pour demandeuses d’asile victimes de violence ou de la traite des êtres humains, auxquelles se sont ajoutées 200 places pour les demandeurs LGBTI. Il s’agit de lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile dotés de moyens supplémentaires pour financer une sécurisation et un accompagnement renforcés.

A contrario, une évolution législative récente a constitué un recul dans la prise en compte de la vulnérabilité : la mise en place d’un délai de carence pour l’accès à l’assurance maladie pour les demandeurs d’asile (voir notre article de décembre 2019). Pendant ce délai fixé à trois mois suivant l’arrivée en France, les demandeurs d’asile ne peuvent donc s’adresser gratuitement à un médecin de ville, ce qui limite fortement la possibilité de faire valoir un motif médical auprès de l’OFII pour une adaptation des conditions d’accueil. Les demandeurs ne sont éligibles pendant cette période qu’au dispositif de soins urgents et vitaux, dispensés en établissement de santé, en contradiction avec le droit européen qui impose plusieurs mesures applicables dès l’enregistrement de la demande d’asile : un accès au « traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves » (directive Accueil, article 19-1), la fourniture de « l’assistance médicale ou autre nécessaire aux demandeurs ayant des besoins particuliers en matière d’accueil, y compris, s’il y a lieu, des soins de santé mentale appropriés » (article 19-2) et la mise à disposition pour les victimes de tortures ou de violences du « traitement que nécessitent les dommages causés par de tels actes et, en particulier, qu’elles aient accès à des traitements ou des soins médicaux et psychologiques adéquats » (article 25).

La publication à venir du « plan d’action » sur les vulnérabilités devrait permettre d’impulser plusieurs mesures intéressantes pour une meilleure prise en compte de cette problématique. Ces orientations ne pourront cependant résoudre à elles seules les difficultés constatées actuellement, dans un contexte de sous-dimensionnement du dispositif national d’accueil - qui héberge moins d’un demandeur d’asile sur deux.  

 

Photo d'illustration : © UNHCR/Corentin Fohlen