Schéma national d’accueil : quelles conséquences pour les demandeurs d’asile ?
Le ministère de l’Intérieur a publié le 18 décembre 2020 le « Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés ». La principale mesure proposée concerne l’orientation régionale, qui vise à mieux répartir les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire français.
Dans une première partie, le Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés pour la période 2021-2023, rappelle certains objectifs en matière d’hébergement et d’instruction des demandes d’asile. Il énonce également quelques mesures visant à « mieux accompagner tout au long du parcours les demandeurs d’asile et les bénéficiaires de la protection internationale » : renforcer la coordination des acteurs, faciliter l’accès aux droits, renforcer la prise en charge des vulnérabilités, conforter la politique d’intégration. Au-delà de ces orientations, déjà énoncées précédemment à plusieurs occasions - notamment dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2021 (voir notre article de novembre 2019) – le schéma national d’accueil pose dans sa seconde partie le cadre de mise en œuvre d’une « orientation régionale » des demandeurs d’asile qui sera applicable dès le mois de janvier 2021.
Il s’agit de concrétiser plusieurs dispositions de la loi du 10 septembre 2018, qui a notamment ajouté dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) un mécanisme d’orientation des demandeurs d’asile d’une région vers une autre, dont la mise en œuvre était conditionnée par la publication de ce schéma national d’accueil déterminant la part des demandeurs d’asile à accueillir dans chaque région. La loi de 2018 permet que cette orientation régionale puisse s’appliquer y compris sans hébergement, une possibilité inquiétante (voir notre article de juillet 2019) qui n’a pas été retenue par le ministère qui prévoit « une orientation avec hébergement ».
L’objectif principal affiché par le ministère est de « rééquilibrer l’accueil des demandeurs d’asile sur le territoire » en « orientant mensuellement environ 2 500 demandeurs d’asile depuis l’Ile-de-France vers les autres régions du territoire ». Une part importante des demandes d’asile sont en effet enregistrées depuis la région parisienne : en 2019, 44% des premières demandes enregistrées par l’OFPRA - hors mineurs accompagnants – émanaient de personnes résidant en Ile-de-France.
Les dispositions législatives en vigueur depuis 2015 permettaient déjà d’orienter un demandeur d’asile vers une autre région que celle où sa demande est enregistrée, mais la complexité du système d’orientation (qui limitait les possibilités d’orientation hors région d’arrivée par les directions territoriales de l’OFII) et la saturation du dispositif national d’accueil (qui héberge moins d’un demandeur d’asile sur deux) limitait la mise en œuvre de ces mesures, qui n’étaient par ailleurs pas accompagnées d’une organisation pensée à l’échelle nationale. Ainsi, les demandeurs d’asile d’Ile-de-France étaient parfois orientés vers un hébergement dans une autre région mais à petite échelle (le schéma indique que cela concernait déjà 160 demandeurs d’asile par semaine en novembre et décembre 2020), et en fonction des seules places disponibles sans prise en compte d’un objectif global et chiffré de répartition.
Avec ce nouveau schéma national d’accueil, tout demandeur d’asile se présentant en guichet unique sur le territoire d’une « région en tension » peut être orienté vers une autre région. Pour la première phase de mise en œuvre, prévue en 2021, l’orientation vers une autre région ne devrait intervenir que depuis l’Ile-de-France, seule région considérée « excédentaire » car accueillant davantage de demandes en préfecture (46% d’après la simulation du ministère réalisée sur la moyenne mensuelle des flux entre septembre 2019 et janvier 2020) que la cible visée (23%). Cette dernière se base sur la population, le PIB par habitant, le taux de chômage et les capacités d’accueil pour chaque région. L’orientation pourra avoir lieu vers l’une des régions considérée comme « déficitaire » soit l’ensemble des régions à l’exception des Hauts-de-France. Peu d’orientation devraient avoir lieu vers les Pays de la Loire et la Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui sont proches de la cible. Le schéma détaille le nombre de personnes qui seront orientées mensuellement vers chacune des régions, avec un objectif national de 1000 orientations mensuelles jusqu’à fin mars 2021, 1 300 à partir d’avril 2021, puis 2 500 par la suite en fonction des éléments de bilan qui seront établis fin 2021.
Le nouveau dispositif d’orientation régionale s’appuie sur les centres d’accueil et d’évaluation des situations (CAES), un dispositif d’hébergement temporaire des demandeurs d’asile dont la capacité va être porté de 3 136 à 4 636 places en 2021.
Lors de son passage par l’OFII au sein d’un guichet unique pour demandeurs d’asile d’Ile-de-France, le demandeur d’asile pourra donc se voir proposer une place dans une autre région. Il sera orienté vers un CAES, qui jouera le rôle de « sas d’accueil » dans la région d’arrivée, et devra s’y rendre dans un délai de 5 jours avec un bon de transport remis par l’OFII. Il sera par la suite orienté depuis ce CAES vers une autre place du dispositif national d’accueil dans la région.
Si le demandeur d’asile refuse l’orientation proposée dans une autre région, ou s’il ne se rend pas dans le lieu d’hébergement vers lequel il a été orienté, il pourra se voir privé des conditions matérielles d’accueil (incluant l’allocation pour demandeurs d’asile). Dès lors que la région d’accueil aura été déterminée, le demandeur sera tenu de s’y maintenir. Il ne pourra en sortir que dans certains cas très précis (convocation de justice ou auprès des instances d’asile) ou après avoir obtenu une autorisation de l’OFII dans les conditions, particulièrement complexes, fixées par le décret du 14 décembre 2018, et dont les modalités de mises en œuvre n’ont pas été précisées. Cela s’appliquera à tous les demandeurs d’asile, que la région d’accueil soit celle de son arrivée ou qu’elle ait été déterminée suite au mécanisme d’orientation régionale. Le schéma national d’accueil a donc pour conséquence d’introduire une forme d’assignation à résidence régionale pour l’ensemble des demandeurs d’asile.
La réussite du mécanisme de répartition introduit par le schéma national d’accueil, et l’atteinte des objectifs mensuels énoncés précédemment, dépendra du nombre de demandeurs d’asile arrivant chaque année et supposera une meilleure fluidité du dispositif national d’accueil qui dépend de plusieurs facteurs encore hypothétiques (réduction de la durée d’instruction des demandes – l’objectif de réduction des délais de procédure à six mois, cité par le schéma, n’est envisagée que fin 2023 dans le projet de loi de finances 2021 -, augmentation du taux de transfert des demandeurs sous procédure Dublin, augmentation des sorties de déboutés et de réfugiés). À défaut, la saturation du dispositif national d’accueil constatée dans toutes les régions ne permettra pas de mettre en place un mécanisme de répartition.
Enfin, il faudra veiller à ce que ce dernier ne produise pas l’effet inverse de celui recherché : si les demandeurs d’asile d’Ile-de-France sont orientés rapidement vers un CAES d’une autre région alors que ceux ayant formulé leur demande directement dans ces régions restent sans solution, cela pourrait inciter davantage de personnes à se rendre en Ile-de-France pour y introduire leur demande. Par ailleurs, la loi (art. L.744-2 CESEDA) prévoit la région d’accueil ne soit pas seulement déterminée par l’OFII en fonction de la clé de répartition mais également « en tenant compte des besoins et de la situation personnelle et familiale du demandeur au regard de l'évaluation [de vulnérabilité] et de l'existence de structures à même de prendre en charge de façon spécifique les victimes de la traite des êtres humains ou les cas de graves violences physiques ou sexuelles ». La mise en œuvre de cette possibilité devra être suivie.
Un arrêté du 7 janvier 2021 permet l’application des dispositions prévues dans le schéma national d’accueil, qui ne concerne pas les régions outre-mer. Un comité stratégique associant les services de l’État et les associations se réunira semestriellement pour faire le bilan des actions portées par le schéma national d’accueil, avec une première réunion fixée à l’été 2021.