L’état civil et le titre de séjour, « sésames » de l’entrée dans un parcours d’intégration
Au début du parcours d'intégration, l’une des principales difficultés porte sur la délivrance d’un acte d’état civil par l’OFPRA. Une démarche déterminante pourtant marquée par d’importants délais, qui freinent de nombreuses démarches.
Parmi les toutes premières démarches que doivent entreprendre les nouveaux bénéficiaires d’une protection internationale (BPI), la demande d’établissement de l’acte d’état civil auprès de l’OFPRA suivie de la demande d’un titre de séjour en préfecture, sont cruciales. Elles conditionnent la suite du parcours d’intégration. Si elles n’aboutissement pas rapidement, elles peuvent affecter considérablement le quotidien des personnes concernées. Or, ces démarches se révèlent particulièrement difficiles à mener pour les bénéficiaires ainsi que pour les professionnels qui les accompagnent. La crise sanitaire de 2020 n’a fait qu’accentuer les difficultés existantes.
La reconstitution de l’état civil des bénéficiaires d’une protection internationale relève de la responsabilité de l’État français lorsqu’il accorde sa protection aux personnes qui se trouvent, du fait de leur statut, dans l’impossibilité de s’adresser aux autorités de leurs pays d’origine ou de résidence pour en obtenir. Cette mission, incombant à l’OFPRA, est particulièrement fastidieuse. À leur arrivée en France, les BPI ne possèdent que très rarement les actes d’état civil de leur pays d’origine : il arrive fréquemment qu’aucun acte n’ait été dressé dans leur État d’origine, qu’ils aient dû abandonner les documents officiels en leur possession au moment du départ, ou qu’ils les aient égaré sur le chemin de l’exil. La reconstitution peut donc nécessiter que l’OFPRA mène des enquêtes, allongeant considérablement le délai d’établissement de l’acte d’état civil. Ce délai s’élevait, en moyenne, à 5,7 mois en 2019. Dans les départements du Rhône et du Puy-de-Dôme, où les équipes de Forum réfugiés- Cosi accompagnent les BPI vers l’intégration, on estimait le délai moyen de délivrance de l’acte d’état civil entre 9 mois et 1 an en 2020. D’après un document budgétaire publié en avril 2021, l’OFPRA a reconstitué 36 099 actes d’état civil en 2020, soit 20% de moins par rapport à 2019, mais la délivrance d’actes d’état civils en ligne a augmenté de 37%.
L’attente de plusieurs mois qui résulte de ce délai de délivrance de l’état civil provoque, en tout premier lieu, des conséquences préjudiciables pour l’obtention du titre de séjour. Si la décision de protection de l’OFPRA permet d’obtenir une première délivrance de récépissé attestant de leur droit au séjour par la préfecture, l’obtention d’une carte de résident de 10 ans pour les réfugiés ou d’une carte pluriannuelle de séjour de 4 ans pour les bénéficiaires de la protection subsidiaires et apatrides est conditionnée au versement des actes d’état civil au dossier. Dans l’attente, les BPI ne reçoivent, pour prouver d’un séjour en règles sur le territoire français, qu’un récépissé de demande de titre de séjour, valable entre 3 et 6 mois. La délivrance d’un titre de séjour intervient rarement dans un délai inférieur à un an.
Par conséquent, étant étroitement liés, les délais d’établissement de l’acte d’’état civil et de fabrication du titre de séjour engendrent un ensemble de difficultés dans l’ouverture et le maintien des droits auxquels peuvent prétendre les BPI, pourtant déterminante pour enclencher un parcours d’intégration en France. Les prestations sociales, le droit à la formation professionnelle ou encore l’accès au marché du travail sont en jeu.
Ainsi, le renouvellement des récépissés de demande de titre de séjour et ses potentiels retards menace la continuité du versement des droits au RSA, aux allocations familiales et aux allocations logement. Dans ces circonstances, l’obtention d’un logement social peut être retardée, voir empêchée. De même, certaines entreprises refusent de signer des contrats longs aux BPI ne possédant qu’un récépissé ou, lorsqu’elles acceptent, peuvent être amenées à ne pas renouveler un contrat ou même rompre celui-ci à l’approche de la date de fin de validité du récépissé. Des formations peuvent également être refusées aux personnes sous prétexte que leur durée dépasse celle du récépissé en cours. De fait, les projections dans un parcours d’intégration sont quasiment impossibles au-delà de la validité de ce dernier, alors que le droit à un séjour pérenne en France des BPI est établi dès la décision de protection.
Les conséquences psychiques et matérielles sur les personnes concernées par ces retards et dysfonctionnements sont souvent lourdes. Ainsi, certains BPI ont peur de devoir se soumettre à un contrôle d’identité et de ne pouvoir justifier de leur droit au séjour sur le territoire. Le caractère anxiogène de cette situation est renforcé par les nombreux courriers et démarches administratives occasionnés et dont la compréhension reste difficile. Les ruptures de droits ou l’arrêt brutal d’un parcours de formation ou d’emploi, installant une situation de précarité alarmante, conduisent certains à s’endetter considérablement auprès de leur communauté.
Depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020, cette problématique est d’autant plus saillante que de nombreux dysfonctionnements ont impacté la délivrance des récépissés et des titres de séjour. Si des ordonnances gouvernementales ont autorisé la prolongation des visas, titres de séjour ou récépissés arrivant à expiration pendant la période de confinement de mars à mai 2020, limitant ainsi les ruptures de droits, celles-ci n’ont pu être totalement empêchées faute de sensibilisation suffisante des administrations et des employeurs. De plus, la sortie du confinement et le retour à un fonctionnement progressif des services préfectoraux ont entraîné de nombreuses difficultés et retards de délivrance des récépissés pour les BPI. Cette situation a représenté une charge de travail supplémentaire pour les dispositifs d’accompagnement dédiés aux BPI, qui ont notamment dû être plus vigilants vis-à-vis des renouvellements des récépissés, faire le lien avec la CAF et Pôle Emploi pour le maintien des droits ou encore sensibiliser et rassurer les employeurs.
De façon générale, sans état civil, la situation administrative des BPI n’en est que plus précaire. Les droits sociaux (RSA notamment) sont rompus au bout d’un an en l’absence d’état civil établi. L’ouverture d’un compte courant à la banque est rendu beaucoup plus difficile, impactant ainsi la perception de certaines prestations. Par ailleurs, sans acte de naissance, le « numéro de sécurité sociale » - Numéro d’Inscription au Répertoire (NIR) - des BPI reste provisoire, empêchant notamment le versement de l’allocation d’Aide au retour à l’emploi (ARE) par Pole Emploi, la délivrance d’une carte vitale et l’accès aux soins par certains professionnels du soin, la délivrance de documents de circulation pour étranger mineur (DCEM) et titres de voyage, et la délivrance du permis de conduire.
Si la loi du 10 septembre 2018 a permis des avancées notables avec la création d’une attestation familiale provisoire, facilitant l’ouverture des droits sociaux dans l’attente de la fixation définitive de l’état civil par l’OFPRA, elle n’en joue pas pour autant le même rôle au regard des différentes administrations, dont les procédures exigent bien souvent la production des actes authentiques d’état civil. La question du délai de délivrance reste ainsi au cœur des enjeux pour permettre un déclenchement sans heurts du parcours d’intégration des BPI. En 2020, l’OFPRA a engagé un plan de transformation de la division de protection, en charge de ces missions. Un audit externe des processus de travail et de l’organisation a formulé en septembre 2020 des recommandations qui devraient se traduire en 2021 par le déploiement de nouveaux outils informatiques et la définition d’une nouvelle organisation. L'objectif est de renforcer la qualité du service rendu à l’usager, de moderniser les processus de travail et de réduire les délais de délivrance des actes.