Le 5 novembre 2019, le Conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) avait décidé le maintien sur la liste des « pays d’origine sûr » (POS) des 16 pays y figurant depuis 2015. Forum réfugiés-Cosi avait alors saisi le Conseil d’État, contestant la légalité de cette décision pour trois pays, l’Albanie, le Bénin et le Sénégal (voir notre communiqué du 4 février 2020), considérant que leur situation ne répondait plus à la définition légale des « pays d’origine sûrs » (art. L.531-25 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). La Haute juridiction administrative avait par ailleurs été saisie par d’autres parties, contestant également la légalité du placement d’autres pays de la liste.

Le placement sur la liste des « pays d’origine sûrs » emporte plusieurs conséquences procédurales. Les demandeurs originaires de ces pays sont placés en procédure accélérée, ce qui signifie que leur dossier doit être examiné plus rapidement par les instances de l’asile, avec notamment une audience à juge unique devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), laquelle doit statuer en cinq semaines contre cinq mois pour les procédures normales. Depuis la loi du 10 septembre 2018, ils perdent leur droit au maintien sur le territoire dès la décision de l’OFPRA, et se voient retirer les conditions matérielles d’accueil normalement accordées aux demandeurs d’asile. Ils peuvent ainsi être éloignés du territoire avant même que la CNDA n’ait statué sur leur dossier, alors que cette étape de recours est particulièrement cruciale pour ces pays (Cf. l’État des lieux de l’asile en France et en Europe publié le 20 juin dernier).

Dans sa décision du 2 juillet 2021 (n°437141, 437142, 437365), le Conseil d’État considère que le Conseil d’administration de l’OFPRA, ayant constaté lors de sa séance du 5 novembre 2019 que « la situation [du Bénin] s’était dégradée de façon préoccupante, celui-ci traversant une grave crise politique, en particulier depuis les élections législatives d’avril 2019, et connaissant selon les observateurs une restriction des droits et libertés et de l’indépendance de la justice », il n’aurait pas dû se contenter d’acter un réexamen ultérieur. Le retrait du Sénégal et du Ghana est également décidé, en raison des risques de persécution liés à l’orientation sexuelle dans ces deux pays : le Conseil d’État y constate « l’existence de dispositions législatives pénalisant les relations homosexuelles » et « la persistance de comportements encouragés, favorisés ou simplement tolérés par les autorités de ces pays, conduisant à ce que des personnes puissent effectivement craindre d’y être exposées » à des risques de persécution ou de traitements inhumains et dégradants.

Forum réfugiés-Cosi avait également demandé le retrait de l’Albanie, mais le Conseil d’État a estimé que le pays pouvait demeurer sur la liste des POS, notamment parce qu’il « dispose d’institutions démocratiques et procède à la désignation de ses dirigeants sur le fondement d’élections libres et pluralistes, n’est pas revenu sur les législations ayant dépénalisé l’homosexualité depuis 1995 et pénalisé les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle depuis 2010, est partie à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et [parce que sa] candidature à l’adhésion à l’Union européenne a été acceptée par l’Union européenne en juin 2014 ». Forum réfugiés-Cosi regrette cet aspect de la décision et considère que ces éléments institutionnels sont insuffisants pour considérer ce pays comme « sûr » au regard des pratiques constatées dans le pays. Plusieurs rapports émanant des Nations unies ou d’organisations non gouvernementales font notamment état d’une situation préoccupante concernant la traite des êtres humains, et relèvent un manque d’indépendance du pouvoir judiciaire qui peine à protéger efficacement les victimes de persécutions. Les instances de l’asile en France accordent d’ailleurs la protection à plusieurs centaines d’Albanais chaque année, reconnaissant ainsi les difficultés persistantes dans ce pays : d’après le rapport d’activité de l’OFPRA publié le 1er juillet 2020, 497 décisions de protection ont été prises en faveur d’Albanais en 2020 (soit un taux d’accord global de 11%), dont 40% l’ont été par la par la CNDA. 

Le retrait du Bénin, du Sénégal et du Ghana revêt un caractère rétroactif, ce qui signifie que les demandeurs d’asile originaires de ces pays doivent voir leur demande reclassée en procédure normale. Les décisions d’éloignement prises à leur encontre alors qu’ils sont encore en phase de recours devant la CNDA ne sont par ailleurs plus fondées, tout comme le retrait des conditions matérielles d’accueil, qui doivent donc être rétablies.   

La situation de l’Arménie et de la Géorgie, dont le retrait de la liste avait été demandé par d’autres parties, n’a pas encore été tranchée par le Conseil d’État. La Haute juridiction estime que l’OFPRA n’a pas fait une appréciation inexacte de la situation à la date de sa décision, mais décide d’un renvoi auprès d’une autre formation de jugement (la section du contentieux), au regard de l’évolution de la situation dans ces pays : l’enjeu sera de savoir si la légalité de la décision de l’OFPRA peut être décidé au regard de circonstances postérieures. Le retrait de la liste des POS pour ces pays pourrait donc être prononcé ultérieurement.