Présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne : quels sont les objectifs sur les dossiers « asile et migration » ?
La Pologne a démarré sa présidence du Conseil de l’Union européenne, qu’elle exercera pendant le premier semestre de l’année 2025. Son programme sur l’asile et la migration se concentre sur ce qui est présenté comme des questions sécuritaires, notamment l’instrumentalisation des migrations et les partenariats avec des pays tiers. Des orientations qui seront probablement soutenues par la Commission européenne et la plupart des États membres.
Le 1er janvier 2025, la Pologne a pris pour six mois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE), qui représente les gouvernements des États membres et qui est colégislateur avec le Parlement européen sur les questions d’asile, avec comme priorités « les 7 dimensions de la sécurité », dont « la protection des personnes et des frontières », qui apparaît en deuxième position.
D’après le programme annoncé, la présidence recherche de nouvelles solutions pour « relever les défis de la migration et de la sécurité aux frontières extérieures de l’UE », et notamment réduire la migration irrégulière et renforcer l’efficacité de la politique de retour, y compris en coopération avec des partenaires de pays tiers. Elle vise également « une réponse adéquate de l’UE aux menaces hybrides, en particulier l’instrumentalisation de la migration », se référant à l’envoi de migrants par la Russie et la Biélorussie aux frontières européennes, dont celles de la Pologne, pour déstabiliser l’UE. Selon la présidence polonaise, « elle ne peut être vue uniquement sous l’angle de la pression migratoire, [car] elle est avant tout une menace pour la sécurité et l’intégrité territoriale de toute l’Union ».
Le programme explique que l’équipe de la présidence et le pays travailleront à l’opérationnalisation de concepts qui ont été mentionnés dans une lettre de 15 États membres du 15 mai 2024 à la Commission européenne, tels que le développement de partenariats avec des pays clés d’origine et de transit, et à la création de lieux sûrs dans des pays tiers afin de fournir aux migrants une alternative sûre à l’entrée irrégulière dans l’UE.
La Pologne cherchera aussi à renforcer l’efficacité et la durabilité des retours volontaires et forcés en améliorant la coopération avec les pays tiers, en utilisant tous les leviers disponibles, tels que les politiques de visa ou commerciales. La poursuite des travaux visant à mettre à jour et à harmoniser la législation relative aux retours est aussi mentionnée.
Il est également indiqué que la présidence entreprendra une discussion sur les possibilités juridiques et pratiques de contrer l’instrumentalisation des migrations par une action coordonnée sur les dimensions externes et internes des migrations prises au niveau européen et dans l’esprit Team Europe (groupe qui n’est pas prévu dans les traités, formé par un représentant de la Commission européenne accompagné par des représentants de certains États membre dans le but de conclure des accords, privant le Parlement européen de son pouvoir de consultation).
Enfin, des discussions sur des solutions alternatives à la protection temporaire des réfugiés en provenance d’Ukraine afin d’éviter les mouvements secondaires sont annoncées.
Ce programme européen s’inscrit dans la lignée de la politique nationale de la Pologne où des réformes dans ce domaine ont été proposés par le gouvernement mi-décembre 2024. En vertu du projet de loi, qui doit être approuvé par le Parlement, le gouvernement pourrait publier un décret en réponse à une pression migratoire accrue, notamment due à une instrumentalisation de la migration, qui lui permettrait de suspendre le traitement des demandes d’asile pendant 60 jours sur des tronçons spécifiques de la frontière. Les prolongations au-delà de cette période nécessiteraient l’approbation du Parlement. Il y aurait également des exceptions aux restrictions pour les personnes vulnérables, comme les mineurs non accompagnés, les femmes enceintes et celles qui risquent de subir un préjudice grave. En outre, le projet prévoit un arrêt temporaire des demandes d’asile présentées conjointement par les membres d’une même famille pendant que les restrictions sont en vigueur. La loi propose également d’introduire une définition juridique de l’ « instrumentalisation ».
Le pays semble avoir le soutien du Conseil et de la Commission européenne. Le 17 octobre 2024, après l’annonce de la stratégie sur la migration du gouvernement polonais, le Conseil européen, qui est l'institution de l'UE qui définit les orientations et les priorités politiques générales de l'UE réunissant les chefs d’État et de gouvernement, a publié dans ses conclusions qu’ « il ne saurait être toléré que la Russie et la Biélorussie, ou tout autre pays, détournent nos valeurs, y compris le droit d'asile, et sapent nos démocraties [ ; que] le Conseil européen exprime sa solidarité avec la Pologne et avec les États membres confrontés à ces défis [; et que] les situations exceptionnelles appellent des mesures appropriées ». Le Conseil européen a réaffirmé « sa détermination à assurer un contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union par tous les moyens disponibles, (…) conformément au droit de l'UE et au droit international, [ainsi que] sa volonté de lutter contre l'instrumentalisation des migrants à des fins politique ». Par ailleurs, il a convenu « d'étudier de nouveaux moyens de prévenir et combattre la migration irrégulière, en conformité avec le droit de l'UE et le droit international ». De surcroît, le Conseil a invité les États membres et la Commission à renforcer les travaux sur tous les axes d'action de l'approche globale en matière de migrations, et préconisé une coopération accrue avec les pays d'origine et de transit, tout comme une action résolue à tous les niveaux pour faciliter, accroître et accélérer les retours depuis l'UE, en utilisant l'ensemble des politiques, instruments et outils dont l'UE dispose.
Le 11 décembre 2024, la Commission, dans un communiqué, a affirmé que « les pays de l’UE sont légalement tenus de protéger les frontières extérieures de l’UE, tout en respectant les droits fondamentaux et le principe de non-refoulement (garantie que personne ne soit renvoyé dans un pays où il risque d’être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants) » ajoutant que « face à la menace hybride actuelle, et conformément aux traités de l’UE, les pays de l’UE peuvent adopter des mesures nationales qui peuvent affecter les droits fondamentaux, tels que le droit d’asile » Ces mesures doivent cependant « être exceptionnelles, temporaires, proportionnées et pour des cas clairement définis. ».
Il est donc probable que les ambitions de la Pologne au niveau européen et national soient atteints. Les experts soulignent par ailleurs que les crises politiques qui touchent actuellement l’Allemagne et la France, les pays avec traditionnellement le plus de poids politique dans l’UE, rendent le rôle de la présidence polonaise encore plus important. D’autant plus qu’à la tête du pays se trouve Donald Tusk, qui a été président du Conseil européen de 2014 à 2019, et que ce dernier jouit d’une forte popularité européenne.
Le seul point sur lequel la Pologne pourrait rencontrer une opposition de la part du Conseil et de la Commission est celui du Pacte sur la migration et l’asile (voir nos articles sur le sujet), Donald Tusk refusant de le mettre en œuvre (le pays ayant voté contre, mais la majorité qualifiée l’ayant emportée), ce qui constituerait un motif de recours en manquement.