Pays d'origine sûrs : Forum réfugiés-Cosi saisit le Conseil d'État
Lors du Conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 5 novembre 2019, la situation des 16 pays figurant sur la liste des « pays d’origine sûrs », telle qu’elle avait été établie le 9 octobre 2015, a été réexaminée. Dans un communiqué du 6 novembre 2019, le président du Conseil d’administration de l’OFPRA a indiqué qu’il avait été décidé « de ne pas apporter de modification à [cette] liste ».
Forum réfugiés-Cosi conteste la légalité de cette décision, considérant que la situation de plusieurs pays de la liste ne répond plus à la définition de l’article L.722-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)*.
Les enjeux autour du placement d’un pays sur la liste des « pays d’origine sûrs » ont par ailleurs été accrus par la loi du 10 septembre 2018. En effet, celle-ci met fin au caractère automatiquement suspensif du recours, devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), contre un rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) d’une demande formulée par un ressortissant de l’un de ces États. Les conséquences en matière de procédure d’asile comme de conditions d’accueil imposent par suite un examen plus exigeant de cette liste.
Au regard de cette situation, Forum réfugiés-Cosi a adressé début janvier une requête au Conseil d’État pour demander la radiation de trois pays figurant sur la liste : l’Albanie, le Bénin et le Sénégal.
En Albanie, plusieurs rapports émanant des Nations unies ou d’organisations non gouvernementales font état d’une situation préoccupante concernant la traite des êtres humains, et relèvent un manque d’indépendance du pouvoir judiciaire qui peine à protéger efficacement les victimes de persécutions. En 2018 (dernières données disponibles), les instances françaises de l’asile ont pris 1 080 décisions accordant une protection au titre de l’asile à des Albanais, fondées notamment sur les violences domestiques, l’orientation sexuelle et la traite des êtres humains. L’Albanie est ainsi au neuvième rang quant au nombre de décisions de protection : dès lors, comment peut-on raisonnablement considérer qu’il n’y est « jamais recouru à la persécution », comme l’exige la définition des « pays d’origine sûrs » ? On notera par ailleurs que la France a exprimé en octobre 2019 son opposition à l’adhésion de ce pays à l’Union européenne.
Au Bénin, de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux ont été constatées depuis l’élection du président Patrice Talon en avril 2016. Plusieurs opposants politiques y sont persécutés, la liberté de la presse est remise en question, le pluralisme politique est menacé, des exactions et arrestations arbitraires sont constatées, et des manifestations y sont durement réprimées. Les Nations unies ont souligné en juin 2019 les défaillances du système pénal béninois en matière de protection contre la torture. La situation dégradée dans ce pays a amené les instances de l’asile à accorder une protection à plus d’un demandeur d’asile béninois sur cinq en 2018.
Les demandeurs d’asile du Sénégal bénéficient également d’un taux d’accord élevé (20% en 2018), qui résulte principalement de persécutions persistantes envers les personnes homosexuelles. Le Code pénal sénégalais prévoit des peines de 1 à 5 ans d’emprisonnement pour les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Les personnes LGBTI y font l’objet de violences et de discriminations, lesquelles ne sont pas sanctionnées par les autorités. Les instances françaises de l’asile protègent ainsi régulièrement des Sénégalais lorsque des persécutions sont constatées en raison de « l’appartenance à certain groupe social », motif figurant dans la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié.
Dans l’attente de la décision du Conseil d’État sur sa requête, Forum réfugiés-Cosi demande aux instances de l’asile de veiller à un examen attentif de toutes les demandes de protection, y compris lorsqu’elles émanent de demandeurs originaires de « pays d’origine sûr », avec une vigilance renforcée pour les personnes vulnérables. L’OFPRA comme la CNDA peuvent au demeurant user – et pourraient donc le faire bien davantage qu’elles ne le font aujourd’hui – de la faculté que leur donne la loi de reclasser certaines de ces demandes en procédure normale.
* CESEDA – Article L.722-1
Un pays est considéré comme un pays d'origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d'une manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, il n'y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu'il n'y a pas de menace en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle dans des situations de conflit armé international ou interne.