Éthiopie : au Tigré occidental, des violations manifestes du droit international humanitaire
Peu après le début du conflit opposant le gouvernement éthiopien et les groupes armés indépendantistes de la région du Tigré à partir de novembre 2020, les nouvelles autorités chargées d’administrer le Tigré occidental, associées à une force paramilitaire régionale, ont entrepris une véritable campagne de nettoyage ethnique. Un rapport commun d’Amnesty international et de Human rights watch publié en avril 2022 évoque des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le Tigré occidental est tombé sous le contrôle des Forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF) et de leurs alliés, les forces et milices de la région Amhara, deux semaines après le début du conflit qui a éclaté au Tigré en novembre 2020. Dans un rapport commun paru le 6 avril 2022, Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) affirment que des civils ont été la cible d'une campagne implacable de "nettoyage ethnique". Selon les deux ONG, cette campagne coordonnée de persécutions fondées sur l’origine ethnique et d’attaques contre les civils constitue des crimes de guerre, et « possiblement des crimes contre l’humanité»*.
Le conflit dans le Tigré, région du nord de l’Éthiopie, débute le 4 novembre 2020. Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed ordonne à l'armée nationale de lancer des opérations visant à supprimer le Front de libération du peuple tigré (FLTP). Le conflit oppose un éventail de groupes armés, ceux alliés au gouvernement fédéral d’une part et ceux liés au FLTP, composé d'anciens soldats, des forces de sécurité régionales du Tigré, de milices et de recrues civiles, d’autre part.
Les combats font alors des milliers morts et des centaines de milliers de déplacés. Ils plongent le Nord du pays dans une profonde crise humanitaire (voir notre article de mars 2021).
Dès les premières offensives, les forces fédérales éthiopiennes et leurs alliés commettent des crimes de guerre contre la population tigréenne (bombardements aveugles de villes, exécutions extrajudiciaires). Encore récemment, de novembre 2021 à mars 2022, plus de 300 civils ont été tués lors de frappes aériennes menées par les forces éthiopiennes dans le Nord du pays, selon un communiqué des Nations Unies du 8 mars 2022. En janvier 2022, deux raids aériens ont frappé le camp de réfugiés de Mai-Aini et le site de Dedebit qui accueille des personnes déplacées internes, dans le Tigré. Ces attaques ont tué 60 personnes et en ont blessé 169.
Selon le rapport d’Amnesty International et de HRW, depuis 2 ans, les populations du Tigré occidental sont victimes de nombreuses et graves violations des droits humains perpétuées par les autorités mises en place par le gouvernement et les milices qui leur sont associées : arrestations forcées, violences sexuelles, persécutions, expulsions forcées, meurtres. Des milliers de personnes tigréennes sont placées en détention de longue durée et soumises à des violences dans des établissements surpeuplés. Les forces de sécurité procèdent à des viols en réunion, accompagnés de violences verbales et physiques, d’enlèvements et de réduction en esclavage sexuel. Les autorités du Tigré occidental ont également restreint les déplacements, l’aide humanitaire, l’usage de la langue tigrigna et l’accès aux terres agricoles afin de forcer les Tigréens à partir. De fin 2020 à mars 2021, des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de fuir vers le centre de la région du Tigré. Selon les informations d’Amnesty international et de HRW, en novembre 2021, des dizaines de milliers de civils dont des personnes âgées ou malades, des jeunes mères et des enfants, ont à nouveau été expulsés. Dans le même temps les forces amharas arrêtaient et plaçaient en détention des milliers d’hommes adultes, abattant ceux qui tentaient de fuir.
Le 17 janvier 2022, des miliciens amharas connus sous le nom de Fanos ont arrêté des hommes de la ville d’Adi Goshu. Une soixantaine d’entre eux ont été livrés aux Forces spéciales amharas qui les ont exécutés près de la rivière Tekezé.
Les deux parties au conflit sont coupables de crimes de guerre. Des milices tigréennes et des habitants de la région ont aussi commis des crimes contre des Amharas vivant sur place et des travailleurs migrants lors d’un massacre survenu dans la ville de Mai-Kadra le 9 novembre 2020.
Dès novembre 2020, des dizaines de milliers de personnes ont fui au Soudan voisin et dans d’autres parties du Tigré. À ce jour, selon les chiffres du bulletin du Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) du 7 avril 2022, il y aurait 63 000 réfugiés éthiopiens au Soudan. 2,4 millions de personnes seraient déplacées à cause des conflits dans les régions du Tigré, d’Afar et d’Amhara.
En outre, la situation humanitaire est alarmante. Les activités agricoles sont à l’arrêt à cause des conflits et la sécheresse sévit. Toujours selon l’OCHA, 5,2 millions de personnes souffriraient de malnutrition dans les régions du Tigré, d’Afar et d’Amhara.