De nombreuses personnes étrangères cherchant à rejoindre l’Europe se retrouvent, parfois pendant de très longues périodes de leur parcours migratoire, sur les territoires de la Tunisie ou de l’Algérie. Ces deux pays opèrent des renvois informels en dehors du pays, en repoussant les personnes vers le désert où leur vie est menacée. Des pratiques choquantes, largement documentées. 

 

Le nombre d’exilés subsahariens qui souhaitent rejoindre l’Europe mais se retrouvent bloqués dans les pays du Maghreb a augmenté ces dernières années, transformant le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie, pays d’émigration et dits de « transit », en pays d’installation. Pourtant, on y constate des carences en matière d’accueil des étrangers et plus spécifiquement des demandeurs d’asile (ces pays ne disposant pas d’un système national de protection), avec notamment des manques en matière de prise en charge de leur santé. Le non- accueil se double parfois de pratiques de plus en plus documentées :  depuis quelques mois, l’Algérie et la Tunisie renvoient ces exilés dans des zones frontalières désertiques où ils sont soumis à tous les dangers.

 

Les renvois organisés par l’Algérie

Les expulsions de personnes en provenance d’Afrique subsaharienne dans le désert à la frontière entre l’Algérie et le Niger se sont multipliées en 2023.

Selon les recensements du 30 août 2023 par l’équipe d’Alarme Phone Sahara à Assamaka (APS), c’est au moins 19 686 personnes qui ont été expulsées d’Algérie à la frontière du Niger entre le 1er janvier et le 16 juillet 2023. L’ONG Médecins sans frontières (MSF) avait déjà recensé 23 171 expulsés en 2020, 27 208 en 2021 et 14 196 durant les quatre premiers mois de 2022.

Des Guinéens, Maliens, Ivoiriens, Sénégalais, Béninois, Gambiens, Nigériens, dont des femmes et des enfants, sont arrêtés dans différentes villes et régions de l’Algérie, puis emprisonnés avant d’être embarqués dans des bus et emmenés à la frontière algéro-nigérienne, en plein désert. L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) indiquait dans une déclaration de juin 2023 que « Ces migrants sont soumis à la torture et aux mauvais traitements, […] ils sont arbitrairement arrêtés et détenus sans aucune garantie procédurale […] sont transportés jusqu'à la frontière, où ils sont abandonnés sans eau ni nourriture dans des conditions climatiques extrêmes. ». Depuis la frontière, il faut ensuite parcourir 15 km pour rejoindre la première ville du Niger, Assamaka. Dans cette petite localité, les expulsés survivent grâce à l’aide humanitaire. Mais, comme l’explique Alarme Phone Sahara, « l’incertitude quant à l'évolution de la situation dans le pays après le coup d'état, face aux sanctions et aux menaces de guerre, est une source supplémentaire de peur et d'insécurité pour les migrants à Assamaka et ailleurs au Niger.» En effet, la question se pose de savoir dans quelle mesure les sanctions imposées au Niger par les États de la CEDEAO et soutenues par l'UE auront un impact sur le financement par l'UE de l’aide humanitaire.

 

Les renvois organisés par la Tunisie

Le 15 septembre 2023, Amnesty international alertait dans un communiqué sur le fait que « depuis des mois, en Tunisie, les personnes originaires d’Afrique subsaharienne sont victimes de violences, d’agressions, d’expulsions sommaires, d’arrestations arbitraires et elles sont renvoyées dans le désert. » Les arrestations et les envois de migrants vers le désert se sont intensifiés après la mort le 3 juillet 2023 à Sfax d'un Tunisien lors d'une rixe avec des migrants. La violence et le rejet contre les Africains noirs se répandent au sein des populations et des forces de l’état tunisiennes, légitimés notamment par le discours, qualifié de raciste par l’ONU, du président tunisien, Kaïs Saïed, qui parlait le 21 février 2023 de l'arrivée de « hordes de migrants clandestins », fruit d’une « entreprise criminelle pour changer la composition démographique de la Tunisie et estomper son caractère "arabo-musulman". » Ce discours a véhiculé un fort racisme envers les étrangers venant d’Afrique subsaharienne.

Selon l’Agence France Presse (AFP), au moins 2 000 ressortissants subsahariens ont été expulsés par les forces de sécurité tunisiennes et amenés dans des zones désertiques aux frontières libyenne et algérienne au cours de l’été 2023. Dans un rapport paru publié en juillet 2023, Human Rights Watch indique que « les personnes interrogées ont déclaré avoir été arrêtées lors de raids menés par la police, la garde nationale ou l’armée à Sfax […] La garde nationale et les forces militaires les ont rapidement emmenées jusqu’à Ben Guerdane, puis jusqu’à la frontière libyenne, à plus de 300km au sud de Sfax, où elles ont été prises au piège dans ce qu’elles ont décrit comme une zone tampon d’où il leur était impossible d’entrer en Libye ou de retourner en Tunisie. »

Au moment où les ONG documentent les faits de xénophobie et les expulsions vers le désert, l’Union européenne et la Tunisie ont signé, le 16 juillet à Tunis, un protocole d'accord pour un "partenariat stratégique complet", avec notamment une aide de 105 millions d'euros pour que la Tunisie contrôle ses frontières et limite les départs vers l’Europe.