Avec un total de 7 023 demandes enregistrées par l’Office français de protection des réfugiés et apatride (OFPRA) en 2019, dont 6 029 premières demandes hors mineurs accompagnants, la Guinée constitue le quatrième pays d’origine des demandeurs pour la deuxième année consécutive. Par ailleurs, 2 131 mineurs non accompagnés de nationalité guinéenne ont formulé une demande d’asile depuis 2015 (dont 79 en 2019, ce qui en fait la troisième principale nationalité des demandeurs MNA).  

Cette croissance forte et récente de la part des Guinéens dans les flux migratoires et des arrivées en France étonne à divers égards. D’une part, contrairement à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, la Guinée n’a pas de diaspora importante installée en France. D’autre part, les raisons personnelles qui peuvent constituer des motifs de demande d’asile (appartenance politique ou ethnique, conflits familiaux, excisions…), ou les motivations plus économiques à l’origine des migrations, ne peuvent à elles seules expliquer cette spécificité de l’exil guinéen, par rapport à d’autres pays davantage touchés par la violence et la déstabilisation sociétale.

Les Guinéens, et particulièrement les jeunes, fuient la misère économique d’un pays sans perspective d’émancipation ou de prospérité. Olivier Peyroux rappelle que le pays est sclérosé dans un système de népotisme et de clientélisme, où les services publics se dégradent et où les perspectives d’élévation économique et sociale sont nulles. Le chef de l’Etat, Alpha Condé, 82 ans, est parvenu en mars 2020 à faire adopter une réforme de la Constitution qui pourrait lui permettre de briguer un 3e (voire un 4e) mandat successif. L’éducation, la justice et le système de santé sont l’objet d’une privatisation croissante et l’accès à ces services de base est de plus en plus difficile. La corruption est importante, le clientélisme s’impose dans tous les domaines de la vie. Se construire un destin personnel parait alors impossible à des jeunes connectés aux réseaux sociaux, attirés par des codes et des valeurs d’émancipation personnelle. Mais comment ces jeunes parviennent-ils à quitter leur pays et à arriver jusqu’en Europe, en empruntant des itinéraires migratoires jalonnés de dangers ?

Olivier Peyroux observe que les Guinéens sont souvent, davantage que d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, en capacité de financer leur voyage. Or les politiques migratoires restrictives et la sécurisation des frontières jusqu’en Europe nécessite de pouvoir réunir des sommes importantes pour pouvoir se payer les services de passeurs. Pour financer le coût de cette migration irrégulière, les Guinéens peuvent recourir à un système de « prêts sur gages » sur des terres familiales.

Pour quitter le pays, le jeune a souvent recours à une somme assez faible au regard du coût total du voyage, un premier capital provenant par exemple d’un héritage suite à un décès. Les personnes peuvent décider de travailler sur la route pour financer la suite de leur voyage. Cependant en cas de difficultés la famille du migrant va s’adresser à des prêteurs souvent en échange de terres mises en hypothèque. Dans le cas où le jeune ne parvient pas à rembourser la dette dans les délais impartis, les terres sont donc confisquées pour une portion de leur valeur réelle, privant ainsi la famille d’un potentiel revenu de subsistance. Ces terres peuvent s’avérer riches (sol ou sous-sol) et être revendues à prix fort, par exemple à des investisseurs étrangers. Le parcours migratoire du jeune, mais également son arrivée en France, sont donc marqués, si la famille a eu recours à un emprunt, par la nécessité de rembourser rapidement la dette contractée.

Ce système guinéen de dette construit sur le foncier explique, selon Olivier Peyroux, à la fois la capacité des jeunes Guinéens à prendre le chemin de l’exil et le risque important d’appauvrissement des familles en cas de non remboursement. Cette pression de la dette peut avoir des impacts psychologiques sur les demandeurs d’asile notamment les plus vulnérables. Cette concentration du foncier par une élite politique et économique agit comme un cercle vicieux renforçant le clientélisme et les inégalités sociales.

 

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