Le 25 septembre 2022, l’alliance formée par Fratelli d’Italia, de Giorgia Meloni (qualifié de post-fasciste), La Lega de Matteo Salvini (extrême droite), Forza Italia de Silvio Berlusconi (droite), et Noi moderati (centre droit), a remporté les élections générales italiennes avec plus de 44% des suffrages. Fratelli d’Italia étant arrivé en tête, G. Meloni, qui l’incarne, devrait prochainement devenir cheffe du nouveau gouvernement. Quel pourrait être l’impact de ce changement politique sur les politiques d’asile et d’immigration, dans un pays fortement impacté par les arrivées sur le territoire européen ?

L’un des enjeux porte sur la place de l’Italie dans l’Union européenne (UE). Fratelli d’Italia, au premier point de son programme, soutient une « pleine adhésion au processus d’intégration européenne, avec la perspective d’une UE plus politique et moins bureaucratique », tout en souhaitant une « politique centrée sur la protection de l’intérêt national et la défense de la patrie ». Ces orientations apparaissent contradictoire, la protection de la souveraineté nationale pouvant aller à l’encontre de l’intégration européenne. Cette possible réticence de l’Italie à l’égard de l’UE, qui demeure compétente juridiquement pour imposer des normes communes en matière d’asile et d’immigration, est partagée par plusieurs pays (Danemark, Suède, Hongrie, Pologne…) et le nouveau gouvernement italien pourrait renforcer ces positions nationalistes qui font obstacle à l’évolution d’une politique commune à l’échelle européenne. À court terme, il sera intéressant de voir comment se positionne l’Italie dans les négociations relatives au Pacte sur l’asile et la migration, mais aussi dans la mise en œuvre du règlement Dublin qui repose sur un accord étatique avant toute décision de transfert vers l’Italie (pays européen ayant reçu le plus de requêtes en ce sens en 2021 d’après le rapport statistique du projet AIDA).    

Concernant les propositions formulées au cours de la campagne, le parti de G. Meloni prévoit au point six (sur quinze) de son programme, nommé « Sécurité et lutte contre l’immigration illégale » une « lutte contre l’immigration irrégulière et [une] gestion ordonnée des flux légaux d’immigration », ainsi qu’une « défense des frontières nationales et européennes comme demandé par l’UE avec le nouveau pacte pour la migration et l’asile, avec contrôle des frontières et blocage des débarquements pour arrêter, en accord avec les autorités de l’Afrique du Nord, la traite des êtres humains ». La pratique du blocage des débarquements est juridiquement problématique. L’ancien ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini est impliqué dans quatre affaires devant la justice italienne pour avoir empêché le débarquement de navires avec des migrants à bord en 2018 et 2019 lorsqu’il était ministre. Deux affaires ont été rejetées, une a été écartée par le Sénat, et la dernière est toujours en cours. L’ancien chef de La Lega risque jusqu’à quinze ans de prison pour séquestration de personnes et abus de pouvoir.

La proposition citée précédemment semble également, à travers l’idée d’une coopération avec les autorités d’Afrique du Nord, évoquer l’idée d’un renvoi immédiat des personnes interceptées en mer vers la Libye (pays mentionné dans plusieurs discours). Or l’Italie a été condamnée en 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme (affaire Hirsi Jamaa), pour avoir, en 2009, sous le gouvernement de Silvio Berlusconi, intercepté en mer des migrants et les avoir reconduits en Libye sans examen des situations individuelles. La Cour conclu à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme prohibant la torture, la violation de l’article 4 du protocole n°4 interdisant les expulsions collectives, et à la violation de l’article 13 de ladite convention consacrant le droit à un recours effectif. Un renvoi sans examen d’une éventuelle demande d’asile revient par ailleurs à violer la Convention de Genève et son principe fondamental de non refoulement, mais également le droit européen. Ce dernier ouvre une possibilité de renvoi sans examen au fond d’une demande, sur le fondement du concept de pays tiers sûr déjà appliqué par certains États membres (notamment la Grèce vis-à-vis de la Turquie) mais conditionné à certains critères légaux non réunis par la Libye. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a notamment rappelé en septembre 2020 que la Libye ne pouvait être qualifiée de « pays tiers sûr ». Le HCR précise également qu’on ne peut considérer ce pays comme un lieu de débarquement sûr après un sauvetage en mer : un navire intercepté dans la zone de sauvetage et de secours (Safe and rescue – SAR) d’un État européen ne peut donc ni faire l’objet d’un renvoi vers la Libye, ni d’un blocage à son arrivée sur les côtes européennes. 

Le programme de G. Meloni évoque plus largement l’idée d’une externalisation des demandes d’asile en dehors de l’UE, prévoyant la « création de hotspots en dehors de l’UE, mais gérés par l’UE, pour évaluer les demandes d’asile ». Ces pratiques, notamment initiées par l’Australie depuis plusieurs années au détriment des droits fondamentaux des migrants (voir notre article de newsletter d’octobre 2018) ont été envisagées par le Danemark et plus récemment par le Royaume-Uni avec un renvoi vers le Rwanda. Le HCR s’est constamment opposé à ces projets, notamment en avril 2022 à l’égard des britanniques. La Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés interdit en effet aux États signataires de refouler, « de quelque manière que ce soit », un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée, et pas seulement le pays d'origine. Il est à noter que, via l'article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE, les États membres de l'UE sont aussi soumis au principe de non refoulement et doivent examiner les demandes d’asile qui leur sont adressées.

Quelques propositions de la nouvelle alliance italienne pourraient être de nature à améliorer la situation des personnes étrangères dans le pays, puisqu’il est aussi question de favoriser l’inclusion sociale et professionnelle des immigrés légaux et de garantir aux communes les ressources nécessaires pour faire face aux frais de gestion et de prise en charge des mineurs non accompagnés.