Plus de quatre millions de personnes venues d’Ukraine bénéficient de la protection temporaire en Europe, un statut exceptionnel mis en place en mars 2022 et qui sera prolongée jusqu’à 2025. Ce dispositif, souvent qualifié de modèle à suivre, offre de nombreux avantages. Un rapport publié fin août 2023 met cependant en lumière plusieurs défis liés à l’accès aux droits socio-économiques des bénéficiaires de la protection temporaire.

 

Le Conseil européen sur les réfugiés et exilés (ECRE) a publié à la fin du mois d’août 2023 un rapport sur l’accès aux droits socio-économiques des bénéficiaires de la protection temporaire dans plusieurs États membres de l’UE, se basant sur les informations de la base de données AIDA. Il aborde notamment les questions de l’accès à un hébergement, à un emploi, à la santé, et à l’éducation des enfants.

L’article 13 de la directive 2001/55 relative à la protection temporaire (mise en œuvre à partir de mars 2022 pour l’accueil des réfugiés d’Ukraine) énonce l’obligation, pour les États, de s’assurer que les bénéficiaires aient accès à un « hébergement approprié ». Il ressort de l’analyse effectuée par ECRE une grande diversité des dispositifs mis en place à cet effet. Les centre d’hébergement sont soit partagés avec des demandeurs d’asile, soit réservés aux personnes fuyant l’Ukraine. Quelques États ont imposé des limites temporelles à l’accès à l’hébergement public. La Pologne, par exemple, permet un hébergement gratuit pendant 120 jours. Après ce délai, les bénéficiaires sans vulnérabilité particulière doivent couvrir 75% des frais. D’autres États ont choisi de s’en remettre à l’hébergement citoyen. En France, tout comme en Pologne, en Belgique ou en Grèce, de nombreux Ukrainiens ont été logé à titre gracieux par des particuliers. Des plateformes pour trouver des familles accueillantes ont été créées, avec ou sans mesures de vérification des offres et de contrôle, afin d’éviter, entre autres, des lieux insalubres et/ou des situations d’exploitation. En ce qui concerne les logements privés, leur accès est difficile dû à la crise généralisée du logement (prix en hausse et peu d’offres), malgré les aides financières dans une majorité d’États. La temporalité limitée du statut n’aide pas non plus à obtenir un logement privé sur le long terme.

L’article 12 de la directive garantit l’accès au marché du travail pour les bénéficiaires de la protection temporaire. Cependant, la Grèce et Malte ont fait usage de la clause permettant de donner la priorité aux citoyens de l’espace économique européen et aux résidents légaux de pays tiers recevant une indemnisation pour cause de chômage. D’autres États ont quant à eux facilité l’accès en permettant un accès direct au marché du travail, comme la France. Les formations et les cours de langue sont les mesures les plus communes de facilitation d’accès au marché, mais des aides sociales et financières pour les employeurs embauchant des réfugiés d’Ukraine (en Bulgarie), ou encore des portails de mise en relation (en Pologne (distinct du EU Talent Pool)) constituent des exemples de bonnes pratiques. Les difficultés observées sont similaires à celles d’autres réfugiés : la faible reconnaissance des qualifications, la barrière de la langue, le manque d’information et les questions de garde d’enfants. Dans le but de remédier à la faible reconnaissance des qualifications, le Portugal donne priorité aux dossiers de personnes en provenance d’Ukraine et un certain nombre d’exigences ont été supprimées, comme la reconnaissance de traductions. Au niveau de l’Union, la plupart des bénéficiaires ayant une activité sont embauchés dans le secteur de la restauration, de l’hôtellerie, du tourisme et du commerce. Beaucoup se retrouvent avec une catégorie socioprofessionnelle inférieure à celle qu’ils avaient en Ukraine.

L’article 14 dispose que l’accès à l’éducation doit être garantit dans les mêmes conditions que les mineurs nationaux. Néanmoins, les niveaux d’inscriptions dans les écoles des États membres sont assez bas. A Varsovie (Pologne) par exemple, 52% des enfants ne sont pas inscrits dans les écoles locales. Beaucoup suivent le programme ukrainien en ligne, ce qui diminue les interactions sociales, et donc l’intégration. En outre, les coupures d’électricité en Ukraine rendent l’éducation en ligne difficile. Cependant, la durée du conflit étant incertaine, les parents pensent qu’un retour rapide en Ukraine est possible, et qu’il n’est donc pas nécessaire de les inscrire. Un certain nombre d’enfant suit les programmes ukrainiens et locaux à la fois. En Autriche, par exemple, des enfants suivent les cours autrichiens le matin et les cours ukrainien l’après-midi. Dans ce même pays, des enfants ont été placés dans des classes d’un niveau inférieur au leur pour incompréhension de la langue, ce qui est démotivant pour eux. En Allemagne, des cours préparatoires de langue ont été créés, mais comme dans d’autres pays, les professeurs manquent. L’embauche de professeurs ukrainiens est prévue dans plusieurs États, dont l’Allemagne et la Pologne. En Espagne, ce sont des assistants de langue qui sont prévus. Un autre problème signalé est la disparition d’élèves lorsque les familles retournent en Ukraine ou changent d’État membre. Concernant l’éducation universitaire, plusieurs pays la garantissent dans la même mesure que pour les nationaux. Certains États suppriment même les frais et mettent en place des mesures de soutien.

L’article 13 prévoit l’accès au système de santé du pays hôte. En pratique, les degrés de service varient d’un pays à l’autre. Dans la plupart d’entre eux, un accès à tout le système est organisé, toutefois, dans d’autres, les services d’urgence sont les seuls accessibles aux bénéficiaires de la protection temporaire. En Bulgarie, par exemple, passé trois mois, les bénéficiaires doivent payer. L’absence d’adresse enregistrée est également un obstacle dans de nombreux États, tout comme la barrière de la langue. Une bonne pratique à étendre est le soutien psychologique gratuit établi en Pologne.

Le droit de bénéficier de l’aide sociale et des moyens de subsistance nécessaires si les personnes ne disposent pas de ressources suffisantes est également prévue à l’article 13. Un manque d’harmonisation sur le sujet est flagrant, notamment sur les montants. La Belgique, la Bulgarie, la Croatie, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Slovénie offrent un accès substantiel à la protection sociale. En France, l’accès est partiel, les bénéficiaires ont droit à une aide pour le logement (APL) et une aide financière (ADA, identique pour les demandeurs d’asile), ainsi qu’à des aides en fonction de la situation familiale. Dans trois États membres, l’Autriche, la Hongrie et l’Espagne, le manque de clarté des règles laissent

Le dispositif de protection temporaire a été prolongé jusqu’à mars 2025, date à laquelle les réfugiés d’Ukraine ne pourront plus bénéficier de ce statut exceptionnel. L’accès aux droits, préalable indispensable à l’inclusion dans les sociétés d’accueil, devra être assuré au-delà de cette date mais la transition vers un autre statut demeure incertaine à ce jour.