En septembre 2020, les arrivées de migrants sur l’archipel espagnol des Canaries ont atteint un niveau inédit depuis 2006, lorsque plus de 30 000 personnes avaient rejoint les îles espagnoles. Cette hausse des arrivées aux Canaries contraste fortement avec la baisse observée sur le reste du territoire espagnol.

 

Depuis deux ans, le nombre d’arrivées de migrants sur l’ensemble du territoire espagnol a significativement baissé. Pour l’année 2019, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) comptait 32 513 arrivées, contre 65 383 en 2018, soit une baisse de 50%. Cette tendance s’est confirmée au premier semestre de l’année 2020. Au 30 juin, 8 622 arrivées ont été enregistrées en Espagne, contre 13 263 pour la même période en 2019 (-35%). Selon les dernières données disponibles, cette évolution semble s’être stabilisée sur le deuxième semestre 2020. Au 1er novembre, 27 998 arrivées ont été enregistrées sur l’ensemble de l’année, contre 27 365 pour la même période en 2019.

Si l’on constate une réduction générale du nombre d’arrivées en Espagne, il semble cependant que cette évolution soit variable selon que l’on se situe sur le territoire continental ou en dehors.

Situées à une centaine de kilomètres des côtes nord africaines, les îles Canaries sont un archipel espagnol au cœur de l’océan Atlantique. Ces territoires connaissent une forte recrudescence des arrivées sur leur sol depuis deux ans. En 2020, le nombre d’arrivées a atteint un niveau inédit depuis la crise des « cayucos » de 2006, lorsque plus de 30 000 personnes avaient rejoint l’archipel. En 2019, le HCR enregistrait déjà une augmentation de 22% par rapport à l’année 2018, tendance qui s’est poursuivie en 2020. En effet, entre le 1er janvier et le 1er novembre 2020, 11 678 personnes ont rejoint l'archipel, contre 1 470 sur la même période en 2019. Ces personnes étaient principalement originaires du Mali, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, de Guinée, du Maroc, du Cameroun, de la Gambie et des Comores.

Parallèlement, le nombre d’arrivées en Espagne continentale diminue : sur le premier semestre 2020, le HCR compte 5 846 arrivées contre 12 808 l’année précédente sur la même période. Cette réduction du nombre d’arrivées s’est confirmée en 2020 : du 1er janvier au 1er novembre, 14 252 arrivées ont été enregistrées contre 19 813 pour la même période en 2019.

Une partie des arrivées ont lieu par ailleurs dans les enclaves de Ceuta et Melilla, situées en Afrique du Nord. Elles enregistraient 3 144 arrivées sur l’année 2019, soit une baisse de 10% par rapport à 2018. En 2020, le nombre d’arrivées sur ces territoires a continué de décroitre. Sur les dix premiers mois de l’année 2020, 2 068 arrivées ont été recensées contre 6 082 sur la même période l’année précédente.

L’Espagne jouit d'un ancrage singulier via ces deux territoires de Ceuta et Melilla situées sur la côte marocaine. Seules frontières terrestres séparant l’Europe et le continent africain, ces territoires représentent de véritables enjeux stratégiques pour l’Espagne et pour l’Union européenne. Pour les migrants d’Afrique du nord et d’Afrique subsaharienne, elles constituent un point de passage privilégié vers les pays occidentaux.

Dès 2015, conscient de la pression migratoire pesant sur Ceuta et Melilla, le gouvernement espagnol a réformé la loi nationale sur l’immigration et l’asile, afin d’étendre la possibilité de renvoi des personnes se présentant dans ces territoires (voir sur ce sujet l’article du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés). En 2019, les accords entre l’UE et le Maroc sur la migration irrégulière ont également été consolidés par de nouveaux financements, à hauteur de 101,7 millions d’euros. La Commission européenne les destine à « soutenir les efforts du Maroc dans la lutte contre le trafic d’êtres humains et la gestion de l’immigration clandestine ». Cette politique s’est traduit par un renforcement des contrôles de la part des autorités marocaines aux abords de la frontière espagnole et à l’augmentation des mesures de renvois. Dans un rapport sur la situation en Espagne publié en avril 2020, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) mentionne de nombreux signalements de refoulements et expulsions collectives depuis ces territoires, impliquant jusqu’à un millier de personnes en 2018 et plusieurs centaines en 2019

Le renouvellement de l'accord entre l'Italie et la Libye en février 2020, soutenu par l’UE, a aussi contribué à modifier les parcours migratoires. L’aide apportée par l’Union aux gardes-frontières et garde-côtes libyens, les conditions de détention très éprouvantes et les autres risques auxquels s’exposent les personnes migrantes en Libye les ont conduits à emprunter de nouvelles voies, notamment vers les Canaries.

De nouvelles routes migratoires qui ne sont pas sans risques pour les personnes qui les empruntent. Depuis le mois de septembre 2020, les drames se succèdent dans l’océan Atlantique. Dans un communiqué de presse du 29 octobre 2020, le HCR et l’Organisation internationale des migrations (OIM) déploraient le naufrage d'un bateau au large des côtes sénégalaises qui tentait de rejoindre les Canaries, faisant 140 morts. Selon l’OIM, depuis le début de l’année 2020, 414 personnes ont perdu la vie sur cette route contre 210 en 2019.