En principe, les demandeurs d’asile doivent bénéficier de conditions matérielles d’accueil (CMA) incluant le versement d’une allocation pour demandeurs d’asile (ADA) ainsi qu’une orientation vers un lieu d’hébergement pour demandeur d’asile au sein duww dispositif national d’accueil (DNA) en fonction des places disponibles. Une partie des demandeurs d’asile ne disposent cependant pas (ou plus) de ces conditions matérielles d’accueil, suite à une décision de refus, de retrait ou de suspension de celles-ci.

Ces cas de figure, élargis par la loi du 10 septembre 2018, peuvent concerner les demandeurs d’asile :

  • qui ne bénéficient pas d’un recours suspensif (notamment ceux provenant d’un pays figurant sur la liste des « pays d’origine sûrs »), et qui se voient donc retirer les CMA pendant la phase de recours devant la Cour nationale du droit d’asile
  • qui sollicitent un réexamen
  • qui ont formulé leur demande plus de 90 jours après leur entrée en France (demandes tardives)
  • qui refusent la région d’orientation déterminée, notamment dans le cadre du schéma national d’accueil (voir notre article de juin 2022) ou qui quittent la région d’orientation déterminée
  • qui refusent la proposition d’hébergement ou qui quittent le lieu d’hébergement dans lequel ils ont été admis
  • qui ne respectent pas les exigences des autorités chargées de l’asile (absence aux convocations, informations incomplètes ou erronées etc.), qui dissimulent leurs ressources financières ou qui fournissent des informations mensongères sur leur situation familiale ou présentent des demandes sous plusieurs identités

Les recours contre ces décisions sont limités et peu effectifs, le juge administratif ne retenant généralement pas d’atteinte à une liberté fondamentale lorsqu’il est saisi.

 

Les données sont relativement rares concernant ces demandeurs d’asile ne disposant pas des CMA. La méthode la plus simple pour connaître le nombre global de personnes concernées consiste à comparer le nombre de demandeurs d’asile en cours de procédure (y compris Dublin) - 145 180 personnes au 31 décembre 2021 d’après l’agence européenne Eurostat - et le nombre de ces demandeurs bénéficiant de l’allocation pour demandeurs d’asile – 111 901 à la même date d’après les données publiées sur Twitter en janvier 2022 par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (administration en charge de l’attribution des CMA) : 33 279 personnes ayant enregistré leur demande d’asile en France ne disposaient donc pas des conditions matérielles d’accueil à la fin de l’année 2021 et n’avaient donc droit à aucune ressource pendant la durée de leur procédure d’asile. Cette situation concernait ainsi 23% des demandeurs d’asile. Cette proportion est largement supérieure aux années précédentes (6% en 2019, 4% en 2020).

Le projet de loi de règlement pour les crédits « asile, immigration, intégration » publié le 5 juillet 2022, qui établit un bilan des objectifs visés par la loi de finances 2021, confirme une forte baisse du nombre de bénéficiaires de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) au cours de l’année. 2021: 101 600 ménages étaient concernés en janvier, contre 78 900 en décembre. En conséquence, et pour la première fois depuis plusieurs années, la crédits prévus dans la loi de finances initiale pour l’ADA (455 millions d’euros) n’ont pas été entièrement consommés (388 millions d’euros dépensés).

La privation des conditions matérielles d’accueil constitue donc une tendance forte. On constate notamment que l’OFII décide le retrait, le refus ou la suspension des CMA quasi systématiquement dans les hypothèses où la loi lui laisse pourtant une marge d’appréciation (notamment en cas de demandes considérées comme tardives). L’absence de données détaillées sur ces situations ne permet cependant pas une analyse plus approfondie. Pour l’année 2021, seul un rapport parlementaire d’octobre 2021 évoque quelques chiffres lors de développements relatifs à la mise en œuvre du schéma national d’accueil : on y apprend que 2 742 demandeurs d’asile avaient vu leurs CMA interrompues pour défaut de présentation, refus d’hébergement ou abandon du lieu d’hébergement au premier semestre 2021, soit davantage que sur l’ensemble de l’année 2020 (une hausse que les députés imputent au moins en partie à la mise en œuvre du nouveau schéma).

La problématique des demandeurs d’asile privés de CMA devrait intégrer pleinement l’analyse de notre système d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui est très rarement le cas. Il est en effet essentiel de dresser un panorama complet incluant l’ensemble des cas de figure (demandeurs d’asile non éligibles aux CMA, demandeurs éligibles mais non hébergés, demandeurs éligibles et hébergés) pour mieux comprendre les enjeux de l’accueil et apporter les réponses politiques adéquates, notamment dans le cadre des actions de démantèlement de campements. Par ailleurs et comme l’a indiqué le Conseil d’État dès 2009, la privation des conditions matérielles d’accueil peut constituer une atteinte manifestement illégale au droit d’asile : dans une situation de trop grande précarité, le demandeur d’asile peut se trouver dans  l’incapacité d’exprimer ses craintes en cas de retour auprès des instances d’asile et être soumis à un renvoi dans un pays où sa sécurité voire sa vie sont menacées. C’est d’ailleurs pour cela que la Cour de justice de l’Union européenne, interprétant la directive Accueil, indiquait dans une jurisprudence de 2019 que le retrait, même temporaire, du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, ne dispense pas l’État de l’obligation de garantir au demandeur un niveau de vie digne.

Des mesures devraient ainsi être adoptées par la France pour se conformer à ce cadre juridique européen et fournir à tout demandeur d’asile ne disposant pas des CMA, quand il ne peut être orienté auprès des dispositifs d’urgence de droit commun souvent saturés, une aide minimale. Une analyse détaillée des motifs de privation des CMA devrait par ailleurs être menée sur la base des données de l’OFII, pour mieux comprendre quelles sont les situations concernées et comment l’OFII met en œuvre les hypothèses légales de cessation, retrait ou refus des CMA qui revêtent un caractère facultatif.