L’arrivée de Bruno Retailleau, nouveau ministre de l’Intérieur nommé le 21 septembre 2024, a été marquée par une nouvelle irruption dans le débat public de discussions politiques et médiatiques autour de la rétention administrative des étrangers. Ces dernières ont à nouveau révélé les approximations et idées reçues dans ce domaine, nécessitant ainsi le rappel de quelques points factuels.

Les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur et les réactions auxquelles elles ont donné lieu, sur le sujet de la rétention administrative des étrangers, s’appuient en partie sur des fait et analyses éloignés du cadre juridique ou des pratiques constatées dans ce domaine (notamment pas les associations présentes dans ces lieux qui produisent chaque année un rapport commun). Quelques brefs rappels s’imposent pour envisager des politiques publiques pertinentes dans ce domaine.

La rétention administrative n’est pas un dispositif pénal

L’objectif initial de la rétention administrative est de maintenir à disposition de l’administration des étrangers en situation irrégulière en vue de leur éloignement. Il s’agit d’organiser matériellement le retour (récupérer les affaires personnelles, réserver un billet d’avion etc.) et de s’assurer de l’accord du pays visé pour accueillir l’étranger.

L’irrégularité du séjour ne constitue pas une infraction pénale et elle peut résulter de situation très diverses (incluant des cas dans lesquels l’étranger n’a pas pu renouveler son titre de séjour en raison de défaillances des autorités administratives). Le manque de discernement dans l’édiction des mesures d’éloignement mène parfois l’administration à placer des personnes qui peuvent disposer d’un droit au séjour et ne devraient donc pas être retenus.

La perspective d’un éloignement (reposant sur l’analyse des possibilités effectives de retour et l’absence de motifs justifiant un droit au séjour en France) et les obstacles à la mise en œuvre d'un retour volontaire demeurent les éléments principaux qui peuvent justifier un placement en rétention. Ce dispositif n’a pas pour vocation à priver de liberté une personne sur la base de sa dangerosité ou pour prolonger une mesure pénale déjà effectuée sanctionnant des atteintes passées à l’ordre public.

Ces dernières années, les orientations politiques (dont certaines ont été consacrées par la loi du 26 janvier 2024) ont cependant fait de la « menace à l’ordre public » un critère prépondérant des placements en rétention (voir notre article de mai 2023). Cela a pour conséquence principale d’accroitre la tension au sein des centre de rétention administrative (CRA) sans améliorer l’efficacité des politiques d’éloignement : s’il ne peut être éloigné, l’étranger sera libéré de ce lieu où sa présence n’est plus justifiée, après des périodes de rétention longues qui privent par ailleurs les préféctures de possibilités de placements à cause d’une indisponibilité de places et d’un défaut de rotation.

La loi précitée a également élargi la possibilité de placement pour des personnes en demande d’asile (voir notre article de décembre 2023), indépendamment des perspectives d’éloignement mais la constitutionnalité de cette disposition (qui n’a pas été examinée par le Conseil constitutionnel) demeure incertaine.

La rétention n’est pas le dispositif le plus efficace pour éloigner les étrangers en situation irrégulière

L’idée selon laquelle il serait indispensable de recourir à la rétention pour éloigner les étrangers en situation irrégulière est solidement ancrée, alors que d’autres dispositifs plus efficaces mais aussi moins coûteux pourraient être envisagés. C’est notamment ce que souligne un rapport présenté en juin 2019 par les députés Jean-Noël Barrot (devenu depuis ministre de l’Europe et des Affaires étrangères du nouveau gouvernement) et Alexandre Holroyd. À travers l’analyse de données chiffrées, et sur la base d’expériences menées par d’autres pays européens, ce document rappelle l’inefficacité de la rétention pour éloigner, son coût très élevé et la nécessité de revoir la politique des retours volontaires pour améliorer le taux d’exécution des décisions d’éloignement.

Les arguments soulignés par ce rapport et connus depuis plusieurs années déjà, ont notamment amené le législateur européen à consacrer, à travers la directive dite « Retour » datant de 2008 et transposée dans le droit français, la primauté du retour volontaire sur la coercition. Revoir ce cadre pour le rendre plus coercitif n’aurait ainsi, a priori, pas d’impact sur l’efficacité de notre politique d’éloignement.

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Les associations présentes en rétention participent simplement à l’application du cadre légal

La loi française prévoit que « l'étranger maintenu en rétention bénéficie d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de ses droits et préparer son départ » (article L.744-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Pour la mise en œuvre de cette disposition, un texte réglementaire précise que « le ministre chargé de l'immigration conclut une convention avec une ou plusieurs personnes morales ayant pour mission d'informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits » avec également la mention selon laquelle « la personne morale assure, dans chaque centre dans lequel elle est chargée d'intervenir, des prestations d'information, par l'organisation de permanences et la mise à disposition de documentation » (article R. 744-20 Ceseda).

Le Conseil d’État, dans une décision de novembre 2009, a interprété ce cadre juridique en précisant que « l'Etat ne peut conclure une telle convention qu'avec des personnes morales présentant des garanties d'indépendance et de compétences suffisantes, notamment sur le plan juridique et social, pour assurer le bon accomplissement des missions d'accueil, de soutien et d'information prévues par la loi ». Le cadre juridique actuel ne permet donc pas de confier cette mission à un service de l’État qui serait rattaché au ministère de l’Intérieur, comme évoqué par Bruno Retailleau.

Ces missions sont actuellement confiées, dans le cadre d’un marché public, à cinq associations qui sont réparties dans l’ensemble des CRA en métropole et outre-mer. Leur rôle, conformément aux dispositions juridiques précitées, n’est pas d’empêcher ou de faire obstacle à l’éloignement, mais de veiller à l’application du cadre légal. Celui-ci étant particulièrement complexe, cet accompagnement est nécessaire pour rendre effectif l’exercice des droits et notamment le droit fondamental à un recours contre les décisions administratives ou judiciaires.

Les associations n’ont aucun pouvoir décisionnaire sur le sort accordé à l’étranger placé en CRA, cette responsabilité étant confiée aux juridictions administratives et judiciaires. En pratiques, ces dernières sanctionnent souvent des pratiques de l’administration ou des services de police contraires au cadre légal : en 2023, plus de la moitié (52,4%) des étrangers placés en CRA ont été libérés par décision d’un juge en France métropolitaine.

Les échecs à l’éloignement des étrangers qui sont surtout dus à l’incapacité des administrations préfectorales à obtenir les laissez-passer des consulats des pays d’origine ne peuvent donc pas être imputés à l’association dans son rôle d’accompagnant des personnes retenues.

Allonger la durée de rétention n’augmente pas significativement le taux d’éloignement

La durée maximale de placement en rétention n’a cessé de s’allonger, passant progressivement de 7 jours au moment de la création de ce dispositif en 1981 à 90 jours (3 mois) dans la dernière loi sur ce sujet en 2018. Cette durée maximale peut par ailleurs être étendue à 180 jours (6 mois) pour les étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou soumis à une mesure d’expulsion pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées.

La durée moyenne de rétention a augmenté en conséquence, atteignant 28,5 jours dans le CRA de l’hexagone en 2023, soit presque deux fois plus que cinq ans auparavant. En 2024, dans certains CRA elle est parfois de près de 40 jours.

Globalement, l’allongement de la durée maximale de rétention n’a pas produit d’effet significatif sur l’effectivité des retours depuis ces lieux. L’écrasante majorité des éloignements ont lieu dans les premiers jours (81% dans les 45 premiers jours et 8% au-delà de 60 jours en 2023), lors desquels l’administration est rapidement fixée sur la possibilité de renvoi. L’allongement de la durée moyenne de placement a pour principal effet de porter des atteintes disproportionnées aux droits des personnes, avec des privations de liberté parfois inutilement longues, et de limiter les possibilités de placement (et donc d’éloignement) en réduisant le taux de rotation dans les CRA.

L’efficacité de la politique d’éloignement repose principalement sur la délivrance des laissez-passer consulaires

Pour éloigner un étranger en situation irrégulière qui ne disposerait pas d’un passeport (document permettant à la fois de justifier sa nationalité et autorisant à voyager), les autorités françaises sont tenues de solliciter un laissez-passer consulaire auprès du pays visé pour le renvoi (voir notre article de janvier 2019). L’ensemble des États sont en effet souverains, comme l’est la France, pour décider qui est autorisé à entrer sur son territoire : en l’absence de passeport, la délivrance de laissez-passer consulaire est donc indispensable. Elle ne dépend pas directement des autorités françaises (qui peuvent néanmoins activer des leviers diplomatiques dans ce domaine) et le renforcement des dispositifs coercitifs de retour n’a pas d’impact significatif sur ce volet.