L’orientation directive sans hébergement, une mesure qui suscite de nombreuses inquiétudes
La loi du 10 septembre 2018 prévoit qu’un demandeur d’asile puisse être orienté depuis le lieu d’enregistrement de sa demande vers une autre région, sans même qu’un hébergement ne lui soit proposé. Cette mesure, dont la généralisation semble envisagée, pourrait avoir pour conséquences de renforcer la précarité des demandeurs d’asile et de créer des tensions nouvelles dans certains territoires peu impactés jusqu’ici par l’accueil de ces publics.
L’orientation directive vers un lieu d’hébergement, prévue depuis 2015, est désormais complétée par une possibilité pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) d’orienter les demandeurs d’asile vers une région dans laquelle « ils sont tenus de résider » y compris si aucun hébergement ne leur est proposé. Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil est subordonné à l’acceptation de cette orientation. Le fait de quitter la région de résidence sans autorisation de l’OFII ou sans motif impérieux porté à sa connaissance entraîne ainsi le retrait de plein droit du bénéfice des conditions matérielles d’accueil et donc de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA).
L’orientation directive instaurée par la loi de 2015 change ainsi totalement de nature. Celle-ci reposait sur une considération légitime : dès lors que l’État propose un hébergement, il n’est pas tenu – sauf si la situation familiale ou sanitaire le justifie – de proposer une orientation dans la seule région d’arrivée du demandeur d’asile, mais peut imposer une orientation dans une autre région, favorisant par la même une meilleure répartition territoriale. La loi de 2018 semble prendre acte du sous dimensionnement du dispositif national d’accueil et du fait que l’État ne remplit que très incomplètement ses obligations en matière d’hébergement des demandeurs d’asile.
Cette nouvelle mesure, qui ne peut normalement être mise en œuvre qu’après publication d’un « Schéma national d’accueil » indiquant « la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région » (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art. L.744-2) qui n’a pas encore été adopté, est déjà appliquée dans le cadre des « Pôles régionaux Dublin ». Cette organisation des services de l’État implique que seules certaines préfectures sont compétentes pour suivre les dossiers des demandeurs sous procédure Dublin. Parallèlement, les pouvoirs publics ont désignés certains lieux proches de ces préfectures pour accompagner ces demandeurs (dans l’hébergement ou hors hébergement à travers les plates-formes d’accueil pour demandeurs d’asile – PADA). À titre d’exemple, tous les demandeurs d’asile sous procédure Dublin en région Auvergne-Rhône Alpes sont suivis par la préfecture du Rhône. Ainsi, une famille hébergée au titre de l’urgence sociale à Clermont-Ferrand qui formule une demande d’asile peut se voir orienter vers la PADA de Lyon sans hébergement au titre de l’asile (et avec un accès quasi impossible à l’hébergement au titre de l’urgence sociale, largement saturé dans cette ville). Elle devra alors faire un choix : suivre l’orientation directive lui fera perdre son hébergement mais permettra sa domiciliation ainsi que le versement de son ADA ; renoncer à l’orientation directive lui permettra de conserver son hébergement mais lui fera perdre son ADA ainsi que le suivi de sa demande puisqu’elle ne pourra plus être domiciliée à la PADA de Clermont-Ferrand,.
Une généralisation de la mesure, qui semble envisagée, pourrait avoir pour conséquence de renforcer la précarité de nombreux demandeurs d’asile qui préfèreront rester dans leur région d’arrivée, où ils disposent généralement de connaissances ou de réseaux de solidarité, plutôt que de rejoindre une autre région où les solutions pour subvenir à leurs besoins de base seront limitées. Ils se verront dans ce cas privés de l’allocation pour demandeur d’asile, pourtant sensée compenser l’absence d’orientation vers un hébergement. Pour ceux qui s’orientent vers la région où ils sont tenus de résider, sans hébergement, cela aura pour conséquence – déjà constatée sur certains territoires avec la mise en œuvre des Pôles régionaux Dublin – de créer de nouvelles situations de sans-abris et d’éventuels campements dans des villes qui ne connaissaient pas ces situations jusqu’alors. Les dispositifs dédiés aux demandeurs d’asile sur ces territoires pourraient par ailleurs être fortement impactés, notamment les PADA pour lesquels cette surcharge d’activité n’a pas été anticipée.
L’objectif de mieux répartir les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire pourrait ainsi avoir des effets non envisagés : une concentration qui demeure dans les mêmes métropoles avec des demandeurs privés d’allocation, ou un déplacement vers d’autres territoires entraînant un risque de désorganisation et de tension. Reste à savoir si ces inquiétudes, soulevées par de nombreux acteurs de l’asile (voir un communiqué inter-associatif de juin 2019), seront entendues par les pouvoirs publics qui envisagent la mise en place des orientations directives sans hébergement depuis l’Ile-de-France au dernier trimestre 2019.