À Mayotte, environ 1 400 personnes ont formulé une première demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2020, contre 1 958 l’année précédente. Ces demandeurs d’asile, originaires principalement en 2019 des Comores (46%), du Burundi (23%), de la République démocratique du Congo (17,5%) et du Rwanda (8%) font l’objet d’un traitement différencié par rapport aux demandeurs d’asile présents en métropole. En effet, le cadre juridique de l’asile à Mayotte est marqué par de nombreuses dérogations et des violations des droits sont par ailleurs régulièrement constatées  (voir notre article de mars 2020 sur les constats du Défenseur des droits à ce sujet). Les demandeurs d’asile présents sur l’île ne bénéficient pas de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). Ils peuvent uniquement bénéficier de bons alimentaires de 30 euros par mois (soit un montant journalier de 1 €, contre 14,2 € par jour pour un demandeur non-hébergé et 6,80 lorsqu’il l’est, en métropole). D’autre part, il n’existe que 105 places d’hébergement d’urgence, gérées par l’association Solidarité Mayotte, dont 50 créées en 2020. Ces places ne font pas parties du dispositif national d’accueil (DNA) et il n’existe aucune place en centre d’accueil pour demandeur d’asile (CADA). L’ensemble de ces places d’hébergement d’urgence pour demandeur d’asile ne permettent qu’un accueil temporaire : il n’est possible d’y séjourner que 3 semaines, renouvelables trois fois. Les quelques milliers de demandeurs d’asile en instance ne sont donc généralement pas hébergés, ou pour un temps très court.

C’est sur ce cadre dérogatoire que le Conseil d’État a été amené à se prononcer dans une décision du 12 mars 2021. La  Haute juridiction administrative a été saisie par une demandeuse d’asile d’origine burundaise qui s’est vue privée de bons alimentaires à la suite d’une décision de rejet de l’OFPRA du 27 avril 2020 alors qu’elle avait déposé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Dépourvue de ces conditions sommaires d’accueil, la requérante vivait sans ressource avec son fils âgé de onze ans dans une habitation de fortune avec douze autres personnes. Après avoir vu sa demande visant à se voir attribuer des conditions d’accueil rejetée devant le tribunal administratif de Mayotte, la requérante a saisi le Conseil d’État.

Dans sa décision du 12 mars 2021, le Conseil d’État s’est prononcé à la fois sur la durée des conditions matérielles d’accueil à Mayotte et sur le contenu de ces conditions d’accueil. Concernant la durée, le Conseil d’État a rappelé que l’ Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a l’obligation de faire bénéficier les demandeurs d’asile des conditions matérielles d’accueil « jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur leur demande d’asile ». D’autre part, le juge a estimé que le contenu des conditions matérielles d’accueil était contraire au droit européen. Reprenant les termes de la directive dites « accueil », il indique que les conditions matérielles d’accueil doivent permettre d’assurer à la demandeuse d’asile ainsi qu’à son fils « un niveau de vie qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale ».

Ainsi, cette décision laisse entrevoir une évolution positive des conditions d’accueil des demandeurs d’asile à Mayotte.  Tout d’abord, les demandeurs d’asile devraient désormais pouvoir bénéficier des conditions d’accueil jusqu’à la fin de leur procédure d’asile. Par ailleurs, cette position du Conseil d’État doit permettre une amélioration globale des conditions matérielles d’accueil à Mayotte, qui ne répondent pas actuellement aux exigences posées par le Conseil d’État. Bien que la Haute juridiction administrative n’ait pas indiqué de quel ordre devait être l’amélioration, il a précisé sur le volet de l’allocation que « cette aide matérielle doit prendre en compte la circonstance qu’il ne leur est pas proposé d’hébergement ». Cela présage donc d’une augmentation de l’aide financière apportée aux nombreux demandeurs d’asile à Mayotte non-hébergés ou, moins probablement, d’une augmentation significative des capacités d’hébergement pour demandeurs d’asile sur l’île.

En effet, conformément à la jurisprudence européenne, le Conseil d’État estimait dans une décision du 17 janvier 2018 portant sur l’ADA en métropole que l’allocation financière pour demandeurs d’asile doit être « d’un montant suffisant pour leur permettre de disposer d’un logement sur le marché privé de la location ». Néanmoins, il n’est pas exigé que ces aides soient revalorisées au même niveau que celles de la métropole. En effet, le Conseil d’État dans une décision du 26 décembre 2016 avait indiqué que la différence de traitement entre les demandeurs d’asile à Mayotte et en France métropolitaine prévue par le  droit français n’est pas contraire aux objectifs de la directive Accueil.

Dans l’attente de ces ajustements nécessaires pour que l’accueil des demandeurs d’asile soit conforme au droit européen, il est probable que les demandeurs d’asile s’appuient sur cette jurisprudence pour former de des recours devant le tribunal administratif de Mayotte afin que leurs conditions d’accueil soient réévaluées.