Intégration : l’ambition du programme AGIR freinée par les contraintes budgétaire
Initialement conçu comme un guichet unique départemental pour accompagner les personnes bénéficiaires de la protection internationale dans leur parcours d’intégration, le programme AGIR a connu un important coup de frein en juillet 2024 avec une restriction de ses critères d’éligibilité.
Déployé progressivement dans l’Hexagone depuis 2022 et favorablement accueilli par la société civile, le programme AGIR (Accompagnement global et individualisé des Réfugiés) a été annoncé comme une politique prioritaire du gouvernement, répondant aux besoins d’accompagnement des personnes réfugiées à travers des guichets uniques départementaux (voir notre article de juin 2023). Avec un objectif initial de 40 000 personnes, AGIR propose un accompagnement de 24 mois aux personnes reconnues bénéficiaires de la protection internationale (réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire) sur l’année en cours (N) et l’année précédente (N-1), signataires du contrat d’intégration républicaine (CIR) et résidant dans le département de déploiement du programme. Deux circonstances cumulatives conditionnent la sortie des bénéficiaires : leur accès à un logement pérenne (dans le parc social ou privé, en résidence sociale ou foyer de jeunes travailleurs) et leur accès à un emploi ou une formation durable (en CDI ou CDD d’au moins six mois ou une formation qualifiante ou diplômante).
Deux ans après le lancement, un premier bilan qui souligne le besoin d’un accompagnement individualisé sur le temps long
En décembre 2024, le ministère de l’Intérieur publiait un premier bilan statistique, à date du 30 juin 2024, avec des chiffres en demi-teinte. 28% des bénéficiaires du programme auraient vu leurs conditions progresser, alors que la majorité (64%) se trouvaient dans la même situation qu’à leur entrée dans le programme. Néanmoins, un impact significatif se dessine à mesure que l’accompagnement individualisé s’allonge dans le temps. Des tendances à lire à la lumière des réalités locales, l’impact du programme dépendant de sa date de déploiement, de l’état du parc locatif, du taux de chômage ou encore des spécificités territoriales en termes d’accessibilité et de mobilité. Des paramètres déterminants notamment pour les trajectoires professionnelles des femmes, qui connaissent des freins périphériques multiples et persistants à leur insertion professionnelle.
Depuis juillet 2024, un durcissement drastique des entrées dans certains départements
À rebours des ambitions initiales visant à couvrir l’ensemble des besoins à travers le déploiement du programme dans l’ensemble des départements métropolitains à la fin 2024, l’administration centrale a publié en juillet dernier une fiche de régulation des orientations par l’OFII. Face à des besoins initialement sous-estimés - traduits par des montées en charge rapides et importantes dans certains départements - et en réponse à des motivations budgétaires, les orientations vers le programme sont brusquement freinées voire gelées selon les territoires depuis l’été dernier, selon le niveau d’atteinte (voire de dépassement) de la file active initialement fixée. En fonction de ces données, peuvent désormais en être exclues les personnes en emploi ou en formation durable et sans logement ou, à l’inverse, les personnes en hébergement bénéficiant d’un accompagnement soutenu, mais sans emploi. L’hébergement dans le DNA devient un critère de mise entre parenthèses de l’orientation (le maximum de six mois d’hébergement après l’obtention de la protection devant être exploité avant d’envisager une orientation) et le critère de vulnérabilité fait son apparition comme critère d’éligibilité au programme (sans pour autant faire écho à la notion de vulnérabilité telle qu’entendue dans le cadre législatif de l’asile). Pour répondre à l’objectif annuel divisé près de moitié - soit 25 000 personnes - des cibles plafond sont fixées par département. Une fois ces cibles atteintes, toute nouvelle entrée ne pourra se faire que sur condition d’une sortie du programme.
Des critères de vulnérabilité à l’entrée qui alimentent la situation de vulnérabilité des personnes réfugiées
Depuis ces annonces, des personnes se sont retrouvées non-éligibles à AGIR du jour au lendemain, avec des modalités d’application variables selon les départements (en fonction des plafonds de file active évoqués précédemment) entraînant un manque de lisibilité pour les réfugiés comme pour les organisations gestionnaires de ce dispositif. Des accompagnements ont dû être brutalement interrompus, des orientations stoppées net, le tout dans l’incompréhension aussi forte que légitime des premières et premiers concerné(e)s. Loin d’assurer un accompagnement individualisé et adapté pour une intégration durable, ces nouveaux critères risquent d’aggraver la précarité des personnes jugées « non vulnérables ». La forte corrélation entre l’accès aux droits, l’accès et le maintien dans le logement et l’accès à l’emploi met sérieusement en doute la pertinence de ces nouveaux critères, a fortiori pour un programme construit sur une approche globale du parcours d’intégration. S’il n’existe à l’heure actuelle pas de chiffres estimant le nombre de personnes de fait exclues du programme AGIR depuis juillet 2024, de graves conséquences sont à craindre pour l’intégration des BPI en général, et en particulier des jeunes de moins de 25 ans et des femmes. Le droit commun reste, en l’état, insuffisamment formé et outillé pour répondre aux besoins d’accompagnement des personnes réfugiées.