En amont de la présentation par la Commission européenne de la proposition de réforme de la directive « retour » aux législateurs de l’Union européenne, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE a publié, début février 2025, ses recommandations sur les questions juridiques relatives aux centres de retour envisagés dans des pays tiers. Le document rappelle l’applicabilité du droit européen et les garanties à prévoir si de tels dispositifs étaient adoptés. 

La directive 2008/115, dite « retour », exige que tout ressortissant d’un pays tiers qui n’a pas le droit de séjourner dans l’Union européenne (UE) reçoive une obligation de quitter le territoire (OQT) ou une autorisation de séjour (article 6). Cependant, il existe un écart important entre le nombre de personnes auxquelles on ordonne de quitter l’UE et celui des personnes qui quittent effectivement l’UE. D’après les chiffres Eurostat, en 2019, par exemple, près de 500 000 OQT ont été délivrées, alors que moins de 150 000 personnes ont fait l’objet d’un retour cette année-là.  

Il est à noter que ces deux séries de données ne sont pas directement comparables : une personne peut recevoir une décision de retour au cours d’une année et être renvoyée l’année suivante, ou il peut y avoir plusieurs décisions de retour pour la même personne. Il n’existe pas de données totalement fiables qui montrent combien de ressortissants de pays tiers ne disposant pas du droit de séjour dans l’UE et faisant l’objet d’une décision de retour quittent le territoire des États membres. Il n’existe pas non plus de chiffres fiables sur le nombre réel de ressortissants de pays tiers qui séjournent dans l’UE en situation irrégulière.

Malgré des initiatives comme la création du coordinateur de l’UE pour les retours, l’efficacité du régime de retour est toujours faible. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : une inefficacité administrative, des procédures dont la mise en œuvre incorrecte est sanctionnée par les juges, un manque de coopération de la part du pays d’origine de la personne concernée, ou encore un manque de coopération de la part de la personne faisant l’objet d’une décision de retour.

En mai 2024, 15 États membres de l’UE ont adressé une lettre à la Commission européenne demandant d’explorer « une coopération potentielle avec des pays tiers sur les mécanismes de centres de retour », le droit primaire de l’UE (c’est-à-dire les traités) n’interdisant pas la création de ces centres.

On entend par « centres de retour » des installations ouvertes ou fermées situées dans des pays tiers. Ces installations accueilleraient temporairement des ressortissants de pays tiers ayant reçu une OQT ou un refus d’entrée émis par un État membre, jusqu’à ce que l’État concerné ou l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) organisent leur retour. Ces centres pourraient être gérés directement par les autorités des États membres concernés, par le pays tiers qui l’accueille ou être administrés conjointement.

Une proposition de réforme de la directive « retour » a été publiée par la Commission européenne le 11 mars 2025 et elle consacre la possibilité de créer ce type de centres.

C’est dans ce contexte, et eu égard à sa mission de fournir une expertise en matière de droits fondamentaux aux institutions, organes de l’UE et États membres, que l’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA), a publié, le 6 février 2025, ses recommandations. Elle partage plusieurs points de vigilance que Forum réfugiés avait mentionné dans un article de décembre 2024.

Dans son document, l’Agence européenne des droits fondamentaux explique que bien que le droit primaire de l’UE n’interdise pas ces centres, il impose des limitations. En effet, « les actes juridiques établissant un centre de retour dans un pays tiers seraient si étroitement liés à la mise en œuvre de l’acquis de l’UE sur les retours qu’il serait difficile d’affirmer qu’ils ne relèveraient pas du champ d’application du droit de l’Union et excluraient donc l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux ». Ces centres ne sont dès lors légaux que si leur création s’accompagne d’un ensemble clair et solide de garanties. Les États membres et/ou Frontex resteront responsables des violations des droits en relation avec leur conduite après le transfert de personnes vers ces centres. Les mécanismes d’application du droit de l’UE pourront être activés en cas de non-respect. L’Agence souligne par ailleurs le « risque constant de violation du principe de non-refoulement » auquel s’exposerait Frontex en procédant à des renvois d’un pays tiers vers un autre.

Pour l’Agence européenne des droits fondamentaux, une évaluation de l’impact sur les droits fondamentaux devrait analyser ex ante tous les risques et la manière de les atténuer. Ce type d’accord avec un pays tiers devrait réglementer au moins les aspects fondamentaux relatifs au fonctionnement du ou des centres de retour. Cela inclurait, par exemple, des règles sur le profil des personnes qui seront transférées, sur les modalités du transfert, et sur les normes minimales pour les conditions matérielles. Il devrait également contenir des mesures préventives pour atténuer le risque de violations des droits de la Charte (ce qui ressort également de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme), ainsi que des dispositions relatives à des mécanismes efficaces et indépendants de suivi des droits de l’homme. Une garantie supplémentaire conseillée par FRA est la mise en place d’un mécanisme de plainte.

Concernant les transferts, la condition préalable est l’émission d’une décision valide et exécutoire ordonnant à une personne de quitter l’État membre ou refusant son entrée. Une telle décision doit toujours être fondée sur une évaluation individuelle. L’article 47 de la Charte dispose que les personnes concernées doivent avoir le droit à un recours juridictionnel effectif pour contester une telle décision. De plus, l’article 19 de la Charte interdit les expulsions collectives, autrement dit, toute mesure contraignant des étrangers à quitter un pays sans un examen de la situation particulière de chacun. Par ailleurs, les articles 4 et 19 de la Charte interdisent tout transfert si des ressortissants de pays tiers y sont exposés à un préjudice grave, à des traitements inhumains ou dégradants ou à une violation flagrante du droit à la liberté (autrement dit, une détention arbitraire). Ce principe de non-refoulement interdit également le renvoi vers un pays tiers – intermédiaire –à partir duquel une personne peut ensuite être renvoyée vers le pays dans lequel elle fait face à un risque réel de préjudice (refoulement indirect ou « en chaîne »).

Enfin, les personnes en situation de vulnérabilité nécessitent une attention particulière, ce qui rend leur transfert légal « hautement improbable et difficile à mettre en œuvre » ce qui amène l’agence à préciser que « les enfants [par exemple] devraient être exclus de tout transfert vers des centres de retour ».