Pacte sur la migration et l’asile : focus sur le règlement « crise »
Parmi les différents textes constituant le Pacte sur la migration et l’asile, adopté définitivement par le Conseil de l’Union européenne le 14 mai 2024, figure le règlement « visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile ». Ce nouveau texte apporte notamment de multiples dérogations aux normes des autres textes du Pacte, au détriment des exilés.
Le règlement 2024/1359 adopté le 14 mai 2024 dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile traite des situations de « crise », incluant des cas d’instrumentalisation, et de force majeure. Il prévoit des règles de détermination de la situation de « crise » et des mesures renforcées de solidarité et de soutien, ainsi que des règles permettant de déroger temporairement à celles des règlements « gestion » et « procédure » (voir nos articles de mars et mai 2024), au détriment des garanties des demandeurs d’asile.
Une « crise » est définie comme une situation exceptionnelle caractérisée par des arrivées massives, par voie terrestre, aérienne ou maritime, de ressortissants de pays tiers ou d'apatrides dans un État membre, y compris de personnes qui ont été débarquées à la suite d'opérations de recherche et de sauvetage. Ces arrivées doivent être d’une ampleur et d’une nature telles, compte tenu, notamment, de la population, du PIB et des spécificités géographiques de l’État membre (dont la taille du territoire), qu’elle rend inopérant son régime d'asile et d'accueil, y compris les services de protection de l'enfance et de retour, notamment en raison d'une situation au niveau local ou régional, de sorte qu'il pourrait y avoir de graves conséquences pour le fonctionnement du régime d’asile européen commun dans son ensemble.
La crise peut aussi résulter d’une situation d’instrumentalisation où un pays tiers ou un acteur non-étatique hostile encourage ou facilite la circulation de ressortissants de pays tiers et/ou d’apatrides vers les frontières extérieures ou vers un État membre, dans le but de déstabiliser l’Union européenne (UE) ou un État, lorsque ces actions sont susceptibles de mettre en péril des fonctions essentielles d’un État membre, y compris le maintien de l’ordre public ou la sauvegarde de sa sécurité nationale.
La force majeure est aussi définie. Elle désigne des circonstances anormales et imprévisibles échappant au contrôle de l’État en question, dont les conséquences n’auraient pas pu être évitées en dépit de l’exercice de toutes les précautions nécessaires, et qui l’empêchent de respecter ses obligations.
Afin de faire face à ces situations, le règlement établit que les stratégies nationales établies par les États membres, conformément au règlement « gestion », devront comprendre des mesures de précaution et un plan en cas d’urgence. Si, malgré les précautions, un État se trouve dans une telle situation, ce dernier pourra solliciter des mesures d’aide. Il pourra demander de façon motivée à la Commission des mesures de solidarité ou des dérogations au régime classique.
Si la « crise » est avérée, la Commission adoptera, au plus tard deux semaines après la présentation de la demande, une décision d’exécution déterminant que l’État requérant est en situation de « crise » ou de force majeure. Parallèlement, la Commission fera une proposition de décision d’exécution du Conseil contenant les mesures dérogatoires à appliquer et/ou un plan de solidarité. Ce plan devra garantir un choix discrétionnaire des États membres contributeurs sur les types de mesures de solidarité (pas de relocalisations obligatoires comme ce que l’on peut lire dans certains médias ou ce qui est dit par certains politiciens). Dans les deux semaines suivantes, le Conseil évaluera et adoptera, ou non, une décision d’exécution autorisant les dérogations et établissant un plan de réponse de solidarité. La Commission pourra également adopter une recommandation relative à l’application d’une procédure accélérée pour l’octroi d’une protection internationale à certaines catégories de demandeurs.
Les dérogations et mesures de solidarité ne s’appliqueront que le temps strictement nécessaire, et seront de maximum 3 mois, prorogeable de 3 mois. Puis, il sera possible de les proroger de nouveau de 3 mois prorogeable de 3 mois. Le maximum est donc de 12 mois.
La Commission, le Conseil, le Parlement européen, les agences compétentes de l’UE et l’État membre confronté à une situation de « crise » ou de force majeure, mais aussi le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), devront coopérer étroitement et s’informer régulièrement de la mise en œuvre de la décision d’exécution du Conseil et sur la persistance de la situation.
Les mesures devront être nécessaires et proportionnelles. Il pourra s’agir de :
- L’assistance de toutes les autorités qui sont en mesure d’augmenter, à court terme, les ressources humaines, ainsi que l’assistance d’experts déployés par l’Agence européenne de l’asile (EUAA) ;
- Relocalisations de bénéficiaires de la protection internationale (même ayant obtenu leur statut plus de 3 ans auparavant) ;
- Contributions financières ;
- Mesures de solidarité alternatives ;
- Compensations de responsabilité ;
- Prolongation du délai d’enregistrement des demandes qui passerait à 4 semaines ;
- Prolongation de six semaines au maximum de la durée maximale de la procédure frontalière d’examen des demandes ;
- Dérogation pour l’État de son obligation d’examiner à la frontière les demandes de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides pour lesquels la proportion de décisions positives est, selon les dernières données annuelles disponibles d'Eurostat à l'échelle de l'UE, de 20% ou moins : il pourrait ainsi réduire ce seuil à 5% ;
- Prolongation des délais fixés pour les requêtes aux fins de prise en charge, les notifications aux fins de reprise en charge et les transferts;
- Libération de l’obligation de reprendre un demandeur ;
- Application, à un groupe de demandeur, de la dispense d’entretien individuel et examen en priorité (4 semaines maximum à compter de l’introduction de la demande).
Les États qui entreprendront des relocalisations pourront bénéficier du soutien financier de l’UE, y compris pour les mesures d’intégration précoce mises en œuvre par les autorités régionales et locales. Un soutien financier d’urgence pour un État en situation de crise pourra aussi être alloué en vertu du règlement 2021/1147 sur le fonds « asile migration intégration » (FAMI), y compris pour la construction, l’entretien et la rénovation des installations d’accueil nécessaires.
Ce règlement sera applicable à partir du 1er jour du 25e mois suivant son entrée en vigueur (application prévue pour le printemps 2026).