Depuis plusieurs années, la nécessité de réformer la directive relative aux retours des personnes en situation irrégulière est au cœur des débats européens sur la migration, les taux de renvoi étant faibles. Plusieurs responsables appellent même à l’ouverture de centres de retour situés à l’extérieur des frontières de l’Union, ce qui pose de sérieuses et nombreuses questions juridiques.

Les États membres de l’Union européenne (UE) peinent à renvoyer les personnes en situation irrégulière sur leurs territoires en raison d’un ensemble de facteurs, dont le manque de reconnaissance des décisions d’éloignement entre États et des difficultés dans la délivrance des documents de voyage par les pays d’origine. Le taux d’exécution des décisions de renvoi dans l’UE se situe aux alentours des 20%. D’après Eurostat, au cours du deuxième trimestre de 2024, 96 115 citoyens non-européens ont été sommés de quitter un pays de l’UE, tandis que 25 285 ressortissants de pays tiers ayant reçu l’ordre de quitter un pays de l’UE ont été effectivement renvoyés dans un pays tiers.

La directive dite « retour » (2008/115) en vigueur date de 2008 et propose un cadre juridique commun à l’échelle de l’UE dans ce domaine. La Commission européenne a proposé de la réformer en 2018, mais la refonte a été bloquée en 2019 en raison des désaccords entre les groupes politiques.

Le 17 octobre 2024, le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement, a appelé « à une action résolue à tous les niveaux pour faciliter, accroître et accélérer les retours depuis l'Union européenne, en utilisant l'ensemble des politiques, instruments et outils dont l'UE dispose ». Magnus Brunner, désormais Commissaire aux affaires intérieures et à la migration, a soutenu la modification de la directive lors de son audition de confirmation devant le Parlement européen en novembre 2024. Nous pouvons donc nous attendre à une prochaine et nouvelle proposition de réforme.

Dans ce contexte, plusieurs voix ont appelé à la création de centres de retour en dehors de l’UE, afin d’y placer les personnes en situation irrégulière (déboutées de l’asile et autres) en instance d’éloignement. Il convient donc de se demander dans quelle mesure la Commission pourrait proposer de tels centres.

Actuellement, la directive (qui nécessite une transposition dans les droits nationaux et laisse, par conséquent, une grande marge de manœuvre aux États) ne s’oppose pas formellement à l’externalisation des procédures de retour. Un État membre pourrait donc décider de créer un partenariat avec un pays tiers pour la création d’un centre de retour extraterritorial sur le modèle de l’accord entre l’Italie et l’Albanie sur la gestion des demandes d’asile (géré par l’Italie en territoire albanais), qui, selon la Commission européenne, ne relève pas du droit de l’UE (voir notre article sur l’externalisation des demandes d’asile). Il faut toutefois noter que tous les projets d’externalisation testés jusqu’à présent ont échoué sur le plan judiciaire, et de nombreux garde fous demeurent applicables :

  1. Un accord de l’UE suivant la procédure formelle devrait être conclu avec un ou des pays tiers. En effet, suivant l’article 79.3 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) « l'Union peut conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d'origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d'entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l'un des États membres ». Pour conclure cet accord juridiquement contraignant, la procédure de l’article 218 du TFUE doit être respectée, ce qui comprend un mandat accordé par le Conseil et le consentement du Parlement européen ; en somme, tout ce qui n’a pas été fait dernièrement, notamment avec le mémoire d’entente entre l’UE et la Tunisie sur la migration. De surcroît, un tel accord produisant des effets juridiques vis-à-vis de tiers, la Cour de justice de l’UE serait compétente pour contrôler sa légalité (article 263 du TFUE).
  1. Une analyse d’impact devrait avoir lieu afin de vérifier si le ou les pays tiers acceptant de recevoir un ou des centres respectent les droits fondamentaux, notamment ceux de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Transférer des personnes vers des pays où elles risquent d'être persécutées, torturées ou soumises à toute autre forme de mauvais traitement violerait le principe légal de non-refoulement. En outre, même si l’analyse d’impact s’avère positive, il ne faut pas oublier que les pays tiers sont indépendants et suivent leurs propres intérêts. Il ne serait pas aisé de veiller à l’unité familiale, à l’accès aux soins médicaux, à l’éducation pour les mineurs et à ce que les besoins des personnes vulnérables soient remplis.
  1. Le transfert des migrants vers un de ces centres équivaudrait à une rétention, car ils ne seraient pas autorisés à quitter les lieux avant la fin de la procédure de retour. Le droit ne permettant pas de retenir indéfiniment une personne, se pose la question de l’après. S’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres, ou que les conditions légales ne sont plus réunies, la personne qui sera libérée sera-t-elle abandonnée dans le pays tiers (avec lequel elle pourrait n’avoir aucun lien) ou renvoyée dans un État membre ?
  1. La rétention ne devrait avoir lieu que lorsque des mesures moins coercitives ne sont pas suffisantes, comme indiqué dans l’article 15 de la directive actuelle. C’est l’un des principes généraux du droit.

Plus généralement, retenir davantage de personnes ne résoudra pas, par exemple, les obstacles liés aux refus de laissez-passer des pays d’origine.  Enfin, cela supposerait que l’UE intègre dans le prochain budget européen, qui couvrira la période 2028-2032, un montant colossal pour la création de tels dispositifs à l’efficacité et à la légalité incertaines.