Une proposition de règlement européen pour répondre aux situations de crise
Dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile, la Commission européenne a présenté un nouveau règlement européen visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeur dans le domaine de la migration et de l’asile. Ce nouveau texte législatif, qui vise à renforcer les réponses d’urgence en cas d’arrivées importantes de migrants, pourrait dégrader la qualité des procédures d’asile.
En septembre 2020, la Commission européenne a présenté un nouveau Pacte sur la migration et l’asile (voir nos articles sur plusieurs aspects du Pacte : voies légales d’accès, répartition, pays tiers sûr). Parmi les propositions législatives, le règlement sur les situations de crise et les cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l'asile vise à établir un mécanisme de traitement des situations de crise exceptionnelles. Le règlement prévoit plusieurs dérogations aux procédures habituelles en matière d’asile ainsi qu’un déclenchement rapide du mécanisme de solidarité en situation de crise. La situation de crise est définie à l’article 2 comme une « situation exceptionnelle d’afflux massif de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides arrivant de manière irrégulière dans un État membre ou débarqués sur son territoire à la suite d’opérations de recherche et de sauvetage, d’une ampleur et d’une nature telles que, proportionnellement à la population et au PIB de l’État membre concerné, elle rend le système d’asile, d’accueil ou de retour de l’État membre non fonctionnel et peut avoir de graves conséquences sur le fonctionnement du régime d’asile européen commun ou du cadre commun établi dans le règlement sur la gestion de l’asile de la migration » ou un risque imminent d’une telle situation. Le cas de force majeure n’est cependant pas clairement défini dans le règlement. Le considérant 7 du règlement évoque « des circonstances anormales et imprévisibles échappant à leur contrôle, dont les conséquences n’auraient pas pu être évitées malgré toute la diligence déployée », et cite notamment la pandémie de COVID-19 et la crise politique à la frontière gréco-turque en mars 2020.
Dans le cas d’une situation de crise, la Commission évalue tout d’abord la demande motivée d’un État membre qui sollicite l’application du règlement, détermine s’il s’agit effectivement d’une situation de crise, auquel cas elle autorise ensuite l’application des règles dérogatoires pour une période déterminée. D’après une note du centre de recherche du Parlement européen, ce nouveau règlement doit permettre aux États de renforcer leur capacités d’accueil et de protection sans déroger aux garanties procédurales et aux fondements du droit d’asile. Plusieurs aspects de ce nouveau texte pourraient cependant dégrader la qualité des procédures d’asile.
D’une part, les États membres pourront étendre le champ d’application de la procédure à la frontière aux ressortissants de pays tiers et aux apatrides dont le taux de reconnaissance en première instance à l’échelle de l’UE est égal ou inférieur à 75 %. La proposition prolonge également la durée maximale de la procédure d’asile à la frontière et de la procédure de retour à la frontière de huit semaines chacune, qui s’ajoute aux durées maximales de douze semaines initialement prévues. D’autre part, les États membres seraient autorisés à reporter l'enregistrement des demandes de protection internationale pendant quatre semaines et jusqu’à un maximum de trois mois, ce qui induit une grave remise en cause de l’accès au droit d’asile. Plusieurs organisations de la société civile, notamment le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), ont ainsi manifesté leur inquiétude relative à ces règles dérogatoires. Elles risquent en effet d’aboutir à ce qu’une grande majorité des personnes arrivant dans l’UE n’aient pas accès à la procédure d’asile en cas de suspension des enregistrements des demandes, bénéficient de garanties procédurales moindres et soient exposées à un risque accru de rétention et de refoulement.
Dans une situation de force majeure, le règlement prévoit également, sur simple notification à la Commission, la possibilité pour un État membre de prolonger les délais pour l’enregistrement des demandes de protection internationale à 4 semaines après leur introduction. De plus, le règlement introduit des dérogations sur les délais dans les procédures de détermination de l’État membre responsable de la demande d’asile. L’État membre confronté à un cas de force majeure disposera aussi d’un délai supplémentaire de 6 mois pour la mise en œuvre de l’obligation de relocalisation ou de prise en charge des retours.
En cas de situation de crise, le mécanisme de solidarité encadré par le règlement sur la gestion de l’asile et la migration sera également adapté. Les États membres seraient tenus de présenter un « plan d’action en matière de solidarité de crise » dans un délai d’une semaine à compter de la finalisation de l’évaluation de la Commission. Le champ d’application de la relocalisation obligatoire est alors élargi à tous les demandeurs - qu’ils soient ou non soumis à la procédure à la frontière -, les migrants en situation irrégulière, ainsi que les personnes bénéficiant d’une protection immédiate, et renforce la possibilité pour les États membres de s’aider mutuellement dans l’exécution des retours, sous la forme d’une prise en charge des retours. Dans cette situation, le règlement prévoit l'éloignement des migrants en situation irrégulière dans un délai de quatre mois, au lieu de huit mois selon la procédure régulière.
En outre, la Commission propose d’abroger la directive sur la protection temporaire de 2001 qui n'a jamais été déclenchée, et inclut la possibilité pour un État membre en situation de crise de suspendre l’examen des demandes de protection internationale pendant une période maximale d’un an, et d’accorder une protection immédiate aux personnes déplacées qui, en raison d’un conflit armé dans leur pays d’origine, courent un risque exceptionnellement élevé de violence et ne sont pas en mesure de retourner dans ce pays tiers. Ces dernières devraient jouir de l’ensemble des droits économiques et sociaux applicables aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Cette proposition de règlement complète le soutien opérationnel de la future Agence de l’UE pour l’asile ainsi que le mécanisme de l’UE de préparation et de gestion de crise en matière de migration, qui, conformément aux recommandations de la Commission relative à un mécanisme de l’UE de préparation et de gestion de crise en matière de migration prévoit un cadre opérationnel permettant de suivre et d’anticiper les flux et situations migratoires, de renforcer la résilience et d’améliorer la coordination technique de la réaction à la crise entre les différents acteurs européens. Bien que les lacunes observées dans la gestion des arrivées en 2015 nécessitent d’adapter les règles en vigueur en matière d’asile et de migration comme le souligne une note du centre de recherche du Parlement européen, ce nouveau règlement doit également permettre aux Etats de renforcer leur capacités d’accueil et de protection sans déroger aux garanties procédurales et aux fondements du droit d’asile.