Dans une note de mai 2021, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) définit l’externalisation de la protection internationale comme des mesures prises par un État – de manière unilatérale ou en coopération avec d’autres États – visant à empêcher l’arrivée de demandeurs d’asile dans un territoire visé et à traiter leur demande dans ou par un État tiers sans que les obligations de protection nécessaires et requises ne soient garanties, ce qui conduit à un transfert de responsabilité en matière de protection internationale. Le HCR souligne que l’externalisation peut prendre différentes formes, telles qu’un traitement extraterritorial dans un État tiers ou d’autres lieux, des mesures unilatérales ou de coopération pour empêcher l’accès à l’asile. L’agence onusienne rappelle que la Convention de Genève de 1951 repose sur la coopération internationale. Si des arrangements encadrés entre les États pour garantir la protection internationale sont possibles, ils doivent respecter les droits et les libertés fondamentales des réfugiés. Or les mesures d’externalisation qui empêchent les personnes d’accéder à une procédure d’asile, ou qui ont pour effet de les transférer dans d’autres pays sans garanties suffisantes vont l’encontre de ces principes et donc de la Convention. Il incombe donc aux États, y compris à celui qui transfère le demandeur d’asile, de s’assurer que les obligations en matière de protection des demandeurs d’asile soient respectées dans le pays de transfert, incluant le respect du principe de non-refoulement, l’accès à une procédure d’asile équitable et efficace, aux soins de santé, à l’emploi, à l’éducation, à l’assurance sociale et la libre circulation dans l’État. « Si ces droits ne peuvent être garantis, le pays qui procède au transfert agit en violation du droit international » précise le HCR. Par ailleurs, ces mesures induisent un transfert forcé des demandeurs d’asile vers d’autres pays alerte l’agence, et expose les personnes à un isolement et une mise à l’écart pour une durée indéterminée dans des conditions punitives les exposant donc à des violations de droits humains et des risques pour leur santé physique et mentale.

Les tentatives d’externalisation ne sont cependant pas nouvelles, et les principes abordés par la nouvelle loi danoise ont déjà été proposés, et sont même mis en œuvre actuellement dans certaines parties du monde. En Europe, en 1986, le Danemark propose un système de gestion des demandes d’asile par des centres régionaux administrés par l’ONU pour tous les demandeurs d’asile arrivés de manière irrégulière dans l’UE. En 1994, ce sont les Pays-Bas qui portent l’idée de centre d’accueil et de traitement pour demandeurs d’asile dans les régions d’origine. En 2003, le gouvernement britannique propose une « approche internationale » de l’asile avec des centres de transit et de traitement dans les pays de transit notamment en Europe de l’Est. L’idée d’externaliser la procédure d’asile a donc souvent fait partie des débats européens, s’appuyant notamment sur la base de modèle développés dans d’autres régions du monde. L’Australie a appliqué dès 2001 ce qu’elle appelait la « Pacific Solution » permettant la sous-traitance de la demande d’asile à des micro-États du Pacifique où les demandeurs d’asile sont privés de liberté dans des camps. Vantant les mérites de ce système, plusieurs responsables politiques européens ont appelé à développer un mécanisme similaire, faisant fi des nombreuses violations de droits constatées. L’idée est a été de nouveau débattue suite à une proposition de l’Autriche lors de sa présidence du Conseil de l’UE en 2018, puis lors des propositions de la Commission sur la mise en place de plateformes de débarquement dans des pays tiers.

Au-delà des discours, les tentatives d’externalisation par les États membres se multiplient depuis 2015 malgré un cadre juridique européen qui consacre le droit d’asile et le principe de non-refoulement. Par exemple, l’application systématique du concept de « pays tiers sûr » par la Hongrie pour les demandeurs d’asile venant de Serbie apparaît comme une forme d’externalisation. Si le HCR reconnait que le concept de pays tiers sûr fait partie des arrangements légaux entre États rendus possibles par les obligations internationales, celui-ci est cependant encadré et conditionné à, entre autre, une évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’accès à une procédure d’asile efficace et équitable dans le pays tiers, à une autorisation de séjour durant la procédure, et à la garantie d’être protégé du principe de refoulement (voir notre article de décembre 2020 sur le concept de « pays tiers sûr »). Or le HCR déplore que la Hongrie renvoie systématiquement et sommairement vers la Serbie toute personne interceptée et entrée de manière irrégulière. L’application du concept en Grèce envers la Turquie dans le cadre de la déclaration UE-Turquie, tend également à une externalisation de la responsabilité européenne vers un Etat tiers. Par ailleurs, l’annonce récente des autorités grecques de qualifier la Turquie comme pays tiers sûrs pour les principales nationalités des demandeurs d’asile en Grèce confirme cette tendance inquiétante.  En Hongrie également, depuis mai 2020, la loi exige que les demandes d’asile soient introduites auprès d’une ambassade d’un pays voisin non-membre de l’UE avant de pouvoir entrer sur le territoire, mesure également considérée comme de l’externalisation par le HCR. 

Si l’agence onusienne qualifie ces pratiques d’illégales au regard du droit international, que dit le droit européen ? Dans un article sur sa page officielle, la Commissaire européenne Ylva Johansson aux affaires intérieures indique que « le traitement externe des demandes d'asile soulève des questions fondamentales concernant à la fois l'accès aux procédures d'asile et l'accès effectif à la protection. Cela n'est pas possible en vertu des règles européennes existantes ou des propositions du nouveau Pacte sur les migrations et l'asile. Le Pacte sur les migrations et l'asile est basé sur le droit d'asile en tant que droit fondamental dans l'Union européenne, garanti par la Charte de l'UE. » Le droit européen consacre en effet le droit d’asile et le principe de non-refoulement dans ses textes, incluant le Traité sur le fonctionnement de l’UE, la Charte de l’UE et d’autres textes spécifiques à l’asile ou à la gestion des frontières. La Commission rappelait par ailleurs dans sa note sur la faisabilité légale des mécanismes de débarquement de 2018 que « le traitement externalisé de demandes d’asile et/ou de la procédure de retour dans un pays tiers n’est ni permis par le droit européen et international ». Le Danemark est tenu par ce cadre juridique malgré son statut particulier au sein de l’UE : cet État membre n’est en effet pas signataire du chapitre dédié à la liberté, la justice et la sécurité, incluant les enjeux d’asile, du Traité sur le fonctionnement de l’UE, ni des textes sur le régime d’asile européen commun (sauf pour le règlement Dublin et Eurodac à travers un accord distinct). Soutenue par le ministre intérieur de l’Autriche, la nouvelle loi danoise ne sera mise en œuvre que si un pays tiers accepte l’accord. Or le Rwanda, qui semblait être en tête de liste, a publié un communiqué indiquant que « l'accueil des demandeurs d'asile danois au Rwanda et le traitement des demandes d'asile au Danemark ne font pas partie de ce protocole d'accord. » Si la Commission européenne s’est fermement positionnée contre la nouvelle loi danoise et a initié des procédures d’infraction contre la Hongrie, son discours est cependant plus nuancé quant à la situation en Grèce et l’accord avec la Turquie.