« Suspension de la demande d’asile des Syriens » : décryptage d’une annonce relayée avec confusion
L’évolution du contexte géopolitique a entraîné des prises de position des autorités françaises sur la mise en œuvre du droit d’asile qui ont suscité de nombreuses réactions. Cette séquence soulève plusieurs questions qui nécessitent des réponses distinctes afin de bien appréhender les enjeux complexes autour de cette situation.
Suite à l’évolution de la situation en Syrie, avec le renversement du gouvernement de Bachar El Assad le 8 décembre 2024, plusieurs pays européens se sont empressés de faire des déclarations sur l’avenir du droit d’asile pour les Syriens ayant rejoint leur territoire.
En France, plusieurs médias ont relayé le lundi 10 décembre une position du ministère de l’Intérieur français exprimée en ces termes : « afin de mettre un frein à l’avalanche d’appels sur les demandes d’asile de Syriens, nous travaillons sur une suspension des dossiers d’asile en cours ». Le ministère a fait savoir ce même jour qu’une décision serait prise « dans les heures qui viennent ». Aucune déclaration officielle n’a cependant été publiée par le ministre ou ses services à ce sujet. Quelques heures plus tard, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a publié un communiqué dans lequel il indique qu’il « suit attentivement la situation en Syrie » ce qui peut mener à « suspendre provisoirement la prise de décision sur certaines demandes d'asile émanant de ressortissants syriens, en fonction des motifs invoqués ».
Ces positions du ministère (informelle) et de l’OFPRA (officielle) ont suscité de nombreuses réactions, autour d’une idée simplifiée selon laquelle la France allait suspendre la demande d’asile des Syriens. La complexité de la situation doit cependant être précisément étudiée afin d’adapter les analyses et réactions.
La réaction du ministère, avec à sa tête un ministre démissionnaire, semble bien précipitée au regard de l’évolution soudaine et encore très incertaine de la situation qui pose quelques questions plus urgentes que celle de l’avenir des personnes réfugiées en France. Il semble en tous cas inadapté d’imaginer que les autorités françaises ont voulu suspendre l’accès à la procédure d’asile des Syriens en France : ce serait à la fois inédit et d’évidence illégal au regard du cadre juridique qui ne peut limiter l’accès à ce droit fondamental à certaines nationalités. Il ne s’agit donc pas de suspendre l’accès à la procédure, mais de suspendre l’instruction des demandes en cours. Le manque de précision du ministère à ce sujet est préoccupant, tant il est nécessaire de ne pas alimenter la confusion dans un débat public déjà largement approximatif sur ces sujets.
La prise de position du ministère, interprétée comme portant sur l’instruction des demandes, est par ailleurs problématique car il n’est pas compétent pour se prononcer à ce sujet. L’indépendance de l’OFPRA est en effet garantie par la loi, ce qui signifie qu’il ne peut recevoir de directives du ministère sur la façon d’instruire les demandes.
La communication de l’OFPRA est en revanche attendue et même souhaitable dans ces situations où la situation géopolitique d’un pays évolue (de façon favorable ou défavorable, comme l’illustrent les précédents récents de l’Afghanistan, de l’Ukraine ou du Soudan) et ne permet donc pas d’apprécier sérieusement les craintes en cas de retour au regard d’une situation personnelle. La suspension temporaire de l’instruction est d’ailleurs prévue par la directive européenne dite Procédure dans son article 31.4, et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a estimé dans des observations publiées le 11 décembre 2024 qu’elle était « acceptable tant que les personnes peuvent demander l'asile et sont en mesure de déposer leurs demandes d'asile » ce qui est bien sûr le cas en France. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ne s’est pas prononcée sur cette situation.
Ce gel des demandes en cours n’a pas d’impact sur les droits des demandeurs d’asile Syriens, qui bénéficient pleinement du cadre juridique en vigueur en matière de droit au maintien sur le territoire ou d’accès aux conditions matérielles d’accueil. On ne peut en déduire à ce stade une quelconque position sur le traitement à venir des demandes d’asile de Syriens. Celui-ci dépendra de l’évolution de la situation, qui pourrait faire persister des craintes déjà présentes avant la chute d’El Assad ou en faire émerger de nouvelles notamment pour certaines minorités. Les instances de l’asile pourront par ailleurs estimer, conformément à la jurisprudence sur ce thème, que les persécutions antérieures sont d’une exceptionnelle gravité entrainant des séquelles jusqu’au moment de la décision.
Cette séquence a fait émerger d’autres questions ou interprétations, non contenues dans les positions exprimées par le ministère et l’OFPRA, sur la fin de protection et la possibilité d’un retour (y compris forcé) des Syriens dans leur pays d’origine. Là aussi, il est largement prématuré d’évoquer ces hypothèses. Le droit des réfugiés permet une cessation de la protection en cas de « changement significatif et durable » de la situation qui avait entraîné une protection, ce qu’on ne peut encore évaluer. La fin de la protection n’entraîne par ailleurs pas automatiquement une décision de retour, de nombreux réfugiés pouvant par la suite disposer d’un droit au séjour en France sur d’autres fondements. Alors que certains États européens ont déjà évoqué l’hypothèse de retour forcé des réfugiés syriens, le HCR a notamment rappelé dans sa position actualisée le 16 décembre 2024 qu’au regard du contexte syrien les États ne doivent pas mettre en place de telles mesures. Pour les Syriens souhaitant volontairement rentrer dans leur pays depuis la France, cela pourrait mener au retrait de leur protection conformément au cadre légal.