Projet de loi asile et immigration : le législateur doit préserver les garanties procédurales essentielles
Présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023, le projet de loi sur l’asile et l’immigration a été amendé par la Commission des lois du Sénat le 15 mars avant que le processus législatif ne soit suspendu, puis repris ce lundi 6 novembre 2023 avec l’examen du texte en séance publique au Sénat.
Forum réfugiés souhaite à nouveau (voir notre communiqué du 02/02/2023) attirer l’attention sur les principaux enjeux relatifs à l’exercice du droit d’asile et à l’accompagnement juridique des étrangers en situation irrégulière au sein des centres de rétention administrative.
En matière d’asile, le texte présente un recul particulièrement inquiétant pour la qualité de notre système d’asile, avec le traitement des recours devant la Cour nationale du droit d’asile par un juge unique, alors qu’un jugement par une formation collégiale constitue le principe aujourd’hui. La collégialité est un élément clé pour une justice équitable : elle permet la confrontation des points de vue dans le cadre d’un contentieux susceptible d’exposer des demandeurs d’asile à des risques conséquents en cas de mauvaise décision. Les profils variés des magistrats garantissent davantage l'indépendance et l'impartialité. Le Conseil d’État a d’ailleurs reconnu la « particulière importance que revêt, pour les demandeurs d'asile, la garantie d'un examen de leur recours par une formation collégiale telle qu'instituée en principe par le législateur » (décision n°440717, CE du 8 juin 2020). La formation de jugement comporte notamment un assesseur nommé par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), une spécificité française inscrite dans la tradition d’un système d’asile protecteur et précurseur établi dès 1952, juste après la signature de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951).
La possibilité de créer des chambres territoriales pour la CNDA – facilitant l’exercice du recours pour les demandeurs d’asile – doit en revanche être préservée, sans être conditionnée à l’adoption de la mesure précitée généralisant le juge unique.
Forum réfugiés rappelle par ailleurs ses réserves concernant la création des pôles France Asile, au sein desquels les étrangers introduiraient directement leur demande auprès d’un agent de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Alors que cette mesure vise à réduire le délai actuellement constaté entre la remise du formulaire OFPRA et la tenue d’un entretien avec l’officier de protection, il convient de s’assurer que cette évolution législative n’impactera pas la qualité de l’instruction. En ce sens, l’amendement adopté en Commission des lois du Sénat, qui prévoit une phase d’expérimentation et un délai minimal pour compléter la demande initiale, doit être confirmé en séance publique. Les parlementaires doivent apporter les ajustements législatifs nécessaires pour préserver la qualité de l’instruction, qui repose notamment sur une phase écrite laissant un temps suffisant au demandeur pour comprendre la procédure et exprimer dans de bonnes conditions ses craintes en cas de retour, avec l’accompagnement de professionnels.
Forum réfugiés partage l’objectif du projet de loi visant à favoriser l’accès au travail des demandeurs d’asile, mais la mesure proposée crée une distinction par nationalité. De nombreuses autres voies d’amélioration concernant tous les demandeurs d’asile sont envisageables, portant sur la réduction du délai permettant de solliciter une autorisation de travail et/ou une suppression de cette étape administrative d’autorisation préalable qui freine l’accès effectif à l’emploi.
Forum réfugiés alerte par ailleurs sur quelques dispositions introduites par la Commission des lois du Sénat, qui ne figuraient pas dans le texte initial, portant des reculs en matière d’accueil des demandeurs d’asile. Les sénateurs ont notamment adopté un amendement visant à rendre automatiques les hypothèses de refus ou de retrait des conditions matérielles d’accueil (CMA). Cette disposition est contraire au droit européen, la directive Accueil prévoyant en tout état de cause un examen individuel des situations avant toute décision de refus ou de retrait des CMA ; elle doit donc être supprimée.
En matière d’éloignement, Forum réfugiés s’oppose à la réduction de certains délais de recours opérée sous prétexte de simplification du contentieux du droit des étrangers. Les demandeurs d’asile sous procédure Dublin verraient ainsi leur délai de recours contre la décision de transfert réduit de 15 à 7 jours, tout comme les déboutés de l’asile souhaitant contester l’obligation de quitter le territoire français (OQTF). Par ailleurs, le recours possible à la vidéo-audience auprès du juge administratif et du juge judiciaire en rétention et en zone d’attente, en abaissant la qualité des échanges et de la relation que permet une audience présentielle, marque un nouveau recul des garanties procédurales.
Forum réfugiés a fait part de ses propositions aux parlementaires et suivra le processus législatif attentivement, avec l’objectif que soit mise en œuvre une politique d’asile, d’intégration et d’éloignement pleinement juste, efficace et respectueuse des droits des personnes.